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Critique de JCCoulange


Trafic est le deuxième roman de Galien Sarde, publié également aux Fables Fertiles, après Echec, et Mat. Comme je l'avais été par celui-ci, j'ai été happé par les premières lignes de ce deuxième ouvrage.

Une ouverture frappante

L'incipit a en effet ceci d'original et d'intéressant qu'il commence par une fin, créant ainsi une sorte de trouble: on s'attend à un envol, et on passe en réalité de 140 km/h à un arrêt, on se retrouve bloqué dans un embouteillage causé par un accident, cloîtré dans une voiture au milieu des sirènes, en pleine chaleur. Comme dans Echec, et Mat l'identification à l'un des deux protagonistes, Vincent, est immédiate. La description de ses sensations nous plonge avec lui dans son malaise : « son pouls s'est mis à enfler, tandis qu'une vague de chaleur envahissait son visage, avant de refluer, glaciale ». Vincent est donc « sous le choc ». A ses côtés, c'est tout le contraire : Manon, la femme qui l'accompagne, semble d'un calme imperturbable. Que se joue-t-il entre ces deux personnages pour qu'existe un tel contraste, une telle tension ? Et ce pistolet, rapidement évoqué, dans la boite à gants ? C'est ce que l'on va découvrir tout au long du roman, au gré de va-et-vient entre des flash-back et le présent immobile de cet embouteillage, alors qu'on se situe dès cet incipit très proche du dénouement.

Un thriller psychologique

Ces retours en arrière nous feront découvrir toutes les péripéties de la relation complexe entre Vincent et Manon, depuis cette première rencontre « à Paris, sur un balcon, de nuit », jusqu'à ce huis-clos, et l'on assistera à l'évolution de cette relation et de ces personnages sans que l'on sache trop à certains moments qui mène la danse, qui manipule qui, qui tend le piège et qui est la proie. Car Galien Sarde nous distille peu à peu des amorces nous laissant présager, ou pas, le dénouement de ce roman plein de suspens. C'est là que réside une grande partie du plaisir de lecture : assister à l'évolution psychologique des personnages, tenter d'en identifier tous les ressorts et essayer de déceler, comme dans un roman policier ou un thriller (car ce livre en est un) les éléments qui nous mettent sur la voie du dénouement et ceux qui nous trompent, nous mystifient comme l'est l'un des protagonistes, amorces que l'on identifiera mieux et avec un plaisir décuplé lors des lectures suivantes.

Un chapitre clé

A cet égard, le chapitre 11 est fascinant. C'est l'un des chapitres où l'on est bloqué dans l'embouteillage mais, les heures passant, les automobilistes se sont relâchés, sont sortis de leurs voitures, et une sorte de vie reprend dans cette bulle à deux pas de l'horrible accident qui est la cause de ce blocage. On y voit innocemment des enfants qui jouent à cache-cache parmi les voitures arrêtées, une femme qui les aide, un homme qui consulte des billets d'avion, un canadair qui lutte contre un incendie… Cependant, à y regarder de plus près, on observe une aide et une trahison, un homme qui a raté son avion… ou qui se rend compte qu'il est encore temps, un feu (intérieur ?) et une énorme douche froide propre à vous assommer à jamais, soit, selon la lecture que l'on fait de ces lignes, un condensé du roman et une annonce de ce que sera la fin.

Un film envoûtant

On sait que Manon a participé à un film dont le tournage l'a amenée bien au-delà du simple rôle d'actrice. Aux côtés de Vincent, quel rôle joue-t-elle vraiment ? En joue-t-elle seulement un ou est-elle encore empêtrée dans un des « trafics » dont il est question ? Et ce film qui fascine Vincent, qu'y cherche-t-il ? Il semble vouloir y découvrir toutes les facettes d'une Manon idéalisée, connaitre chaque parcelle de son passé, connaitre tout d'elle, toute son histoire, la posséder tout entière. Désir du film, désir de Manon. Ce film est comme un aimant qui l'attire, semble oeuvrer comme un objet maudit, envoûté et envoûtant. Qu'advient-il si l'on franchit la limite qu'il semble signifier, si l'on passe de l'autre côté du miroir ? La lecture des passages où Vincent regarde et regarde encore le film, coupe bue jusqu'à la lie, et les conséquences qui en résultent sont d'ailleurs fascinantes et offrent l'occasion d'une belle réflexion sur la réalité et la fiction, sur l'image et son pouvoir, sur nos rêves et leur réalisation, nos mystification, les rôles que nous jouons.

Un écho de Manon Lescaut

On savourera également les parallèles avec d'autres oeuvres de la littérature, Manon Lescaut au premier plan. Un conseil, d'ailleurs, si vous n'avez pas lu ce roman de l'Abbé Prévost. Lisez d'abord Trafic afin de n'avoir aucune indication sur le dénouement, afin d'être aussi naïf qu'un des deux protagonistes. Lisez ensuite Manon Lescaut, puis relisez Trafic. Vous en savourerez tous les parallèles et la maestria de cette réécriture.

Je n'ose aller plus loin de peur de trop en dire, de trop dévoiler. Je vous laisse découvrir Manon et Vincent, les suivre au gré des mots, des phrases, du style brillant de Galien Sarde capable d'embrasser d'une phrase plusieurs éléments dans un seul et même mouvement (p.17). Capable, aussi, de modeler son matériau linguistique afin de mieux centrer votre attention sur tel sentiment, tel doute, de porter votre regard sur tel objet (p. 122), de vous faire pénétrer un personnage lors de plans subjectifs, vous faisant ainsi partager l'objet de son désir (p. 120-121 ; 123). Capable, enfin, de vous enchanter. Dans tous les sens du terme ? Oui, sans doute. Je vous invite donc à vous laisser enchanter, fasciner (le dénouement !) par Trafic de Galien Sarde. Enchanter, mais nullement envoûter. Pas de crainte à avoir : je vais très bien et en suis déjà à ma troisième lecture.

Vous retrouverez dans mes "citations" certains extraits des pages que je cite.
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