* Mini-trilogie : Valentin 1, 2, 3 *
Valentin 1 «
Lettres portugaises », Gabriel
Guilleragues
Valentin 2 «
Laissez-moi »,
Marcelle Sauvageot
Valentin 3 «
Mon cher amour... »,
Julie Maillard
Plus de deux siècles plus tard, avec
Laissez-moi, nous retrouvons la même chimère de l'amour que dans «
Lettres Portugaises ». La question de la réalité charnelle de cette source d'épanchement se pose encore une fois. le supposé amant ou objet amoureux est matériellement inexistant. le discours a évolué. La femme réussit à s'émanciper.
Marcelle Sauvageot (1900-34), agrégée de lettres, a été emportée comme beaucoup d'autres écrivains (
Emily Bronté, Kafka, Orwell…) par la tuberculose. Peu de temps avant sa mort, elle a publié son seul livre,
Laissez-moi, qui est une longue lettre fragmentée comme un journal intime, qui va du 7 novembre au 24 décembre 1930, adressée à un fiancé qui l'abandonne.
Laissez-moi est trop bien construit pour relever d'une écriture spontanée au fil des jours.
Dans le train qui la conduit au sanatorium, elle est pleine d'espoir :
« Je t'envoie un baiser dans l'air. Si tu m'aimes, je guérirai ».
Elle déchante vite en recevant une lettre de rupture :
« Je me marie… Notre amitié demeure… ».
À l'état de sidération, succède les interrogations.
Elle passe d'une vision romantique de l'amour comme l'union de deux êtres qui vont devenir un :
"Et ce qui me fait souffrir, ce n'est pas tant la mort d'un amour que celle d'un être vraiment vivant que nous avions créé l'un et l'autre, que peut-être moi j'avais créé seule... Cet être était une union de vous et de moi, tels que nous nous voulions l'un l'autre". (p.52)
à une vision féministe ou le mariage n'est qu'un marché de dupes :
On dit à une femme : « celui pour qui vous êtes faite » et à un homme : « celle qui est faite pour vous ». Voit-on : « celle pour qui vous êtes fait » ? […]. Chose étrange : la femme est faite pour l'homme et c'est à elle que le bonheur ira. L'homme ne peut-il avoir le bonheur, ou bien son bonheur est-il de sentir la souplesse consentante de celle qui est faite pour lui ?" (p.43-4)
"Aimer, c'est pour l'un conquérir, pour l'autre, se soumettre... et tout le reste reçoit les noms vagues d'amitié, affection, dévouement ... ?" (p.57)
Elle va s'affirmer jusqu'à s'écrier :
«
Laissez-moi souffrir,
laissez-moi guérir,
laissez-moi seule ». (p.65-6)
Laissez-moi est intéressant à un double titre, comme manifeste féministe et comme questionnement sur l'amour.
Par rapport aux «
Lettres portugaises », l'expression s'est délestée d'envolée lyrique. Elle reste servie par une prose élégante et subtile qui semble avoir disparue de nos jours.
Je remercie @oiseaulire qui suite à mes commentaires à son billet sur «
Lettres portugaises », m'a aiguillée sur
Laissez-moi.