Le soupçon me saisit que l'un ou l'autre de mes lecteurs trouve ces miennes notes insuffisamment pourvues de ce sérieux qui, d'ordinaire, agrémente les gloses des livres de culture. Comme j'oeuvre dans un climat utopique, je finis par croire utopiquement que mes lecteurs ont tous dépassé le préjugé du sérieux, lequel met tant d'obscurité dans les choses de la culture et, en tout cas, de la vie, et qu'ils savent désormais que le sérieux est un obstacle et une limite, en d'autres mots une forme d'inintelligence.
Le concept chrétien de la vie n'est pas nécessairement lié à l'idée de Dieu. Encore plus précisément : dans le sentiment chrétien de la vie, la prémisse Dieu n'est guère indispensable. Mieux même : la prémisse Dieu ne fait qu'alourdir le sentiment chrétien de la vie et l'endommager. (...) Le christianisme véritable est athée.
La vérité absolue, l'orientation unique, l'acception solitaire sont les ennemies de l'homme, le danger qui le menace continuellement, et l'on dirait bien des flèches noires et péremptoires qui se fichent dans sa poitrine, de sombres marteaux qui lui frappent le crâne, tandis que l'ambiguïté est douce et réconfortante. Elle a les mêmes capacités que les coussins et rembourrages : quelle que soit la hauteur de la chute, on ne s'y fait pas grand mal. L'ambiguïté est le mode de l'aplomb et le principe de l'harmonie.