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Critique de berni_29


C'est bien connu, les marins ne savent pas nager. Et ne me demandez pas pourquoi... Certains vous diront que c'est pour moins souffrir devant la mort lorsque l'un d'entre eux tombe à la mer. D'autres vous répondront que c'est une manière pour les lâches de se donner bonne conscience en ne plongeant pas au péril de leur vie lorsqu'un de leurs camarades se noie...
Si vous ne craignez pas les fureurs de l'océan, approchez un peu de ces pages qui ne demandent qu'à vous emporter.
Je vous emmène pour un voyage dans un passé à peine imaginaire sur une île qui ne l'est pas moins : la fameuse et mythique île d'Ys.
L'île d'Ys naquit d'une légende bretonne, aussi il n'en fallait pas plus pour me transporter vers ce récit et suivre l'histoire de ces gens de mer.
Ys, à certains endroits de nos côtes où les légendes continuent certaines nuits d'aller bon train, vous prononcez ce nom magique et c'est comme si l'océan s'ouvrait brusquement devant vous comme l'antre d'un coquillage géant et vous voyez alors surgir de l'écume des phares, des îles, des récifs, des navires, des épaves, des ombres courant sur les dunes avec des fanaux accrochés au cou des vaches...
Ici des phares dressés aux quatre coins de l'île, éperonnant le ciel, semblent tenir un feu sacré.
Nous sommes au XVIIIe siècle, mais un XVIIIe siècle réinventé par l'autrice Dominique Scali, un siècle épris d'imaginaire et de fantasy.
C'est une étrange société que nous découvrons ici, avec son organisation politique, ses codes, ses règles complexes pour devenir citoyen, ses castes, ses lois qui créent des élites, maintiennent l'ignorance et les superstitions, laissent place à la fatalité. L'île est divisée en deux, d'un côté il y a les privilégiés, ceux qui ont droit de cité, protégés par les épaisses murailles et les autres, hors des remparts, condamnés au danger du littoral, à l'étreinte de la mer, à la montée des eaux lors des équinoxes terribles.
Fallait-il convoquer une fantasy plongée dans un XVIIIe siècle maritime pour imaginer pareille réalité sociale si injuste et si intemporelle ? Mais ici l'évocation de cet édifice imprenable d'une civilisation construite sur des guerres, des massacres, des révolutions est prétexte à nous faire découvrir ce peuple du rivage, ces gens de mer, autant arpentant et fouillant inlassablement le rivage qu'affrontant les mers les plus démontées.
« Si la mer est autant insondable et incontrôlable qu'on le dit, alors voyons-la pour ce qu'elle est : cruelle. Tournons-lui le dos, à la mer. Exploitons ce qu'elle nous offre, mais cessons d'attendre qu'elle nous comble. »
Ici les femmes jouent un rôle important, pour ne pas dire essentiel, elles sont saleuses, ramasseuses de goémons ou de tant d'autres objets laissés après les tempêtes et les naufrages, tandis que les hommes se font marins par la force des choses, naviguent sur des embarcations parfois aussi frêles qu'une coque de noix, tantôt guerriers, tantôt commerçants, tantôt explorateurs.
Sur le rivage ce sont elles qui sont aux manettes. Ici les femmes naissent parfois déjà orphelines, grandissent avec ce vide en elles et deviennent veuves aussi vite qu'elles sont entrées dans l'âge adulte.
L'une d'entre elles se détache dès le début du récit pour en porter la trame jusqu'à la fin, c'est le magnifique personnage de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Danaé Poussin, parce que c'est plus facile à dire. Je me suis tout de suite épris de cette Danaé Poussin, femme qu'on découvre à l'âge de l'enfance, - elle a neuf ans au début du récit, et on la voit grandir, être curieuse de tout, devenir femme, tantôt sauveuse, tantôt naufrageuse, s'éprendre de la vie, prendre des coups aussi, aimer, être aimé... Mais surtout, elle plonge, elle nage, elle sait même nager de manière inouïe, elle sait se perdre dans la mer, elle sait revenir à chaque fois, presque indemne...
C'est un récit foisonnant d'embruns aux pages couvertes de sel, d'azur, de cicatrices, parce que les vagues et les rochers font mal.
Ici parfois les naufrages assurent la survie d'un peuple affamé et démuni.
Par moments, j'ai eu l'impression que ce roman époustouflant ressemblait à l'océan, imprévisible, écumant dans la profusion des personnages et de leurs destins parmi lesquels mes pas parfois se sont égarés. Mais en moussaillon intrépide, je n'ai pas lâché la barre, j'ai souqué ferme pour mon plus grand bonheur.
Car ici il est question d'entrelacements entre les vagues inlassables et lascives, où les hommes sont ballotés, où les femmes attendent, travaillent, s'éprennent parfois de ces hommes qui passent, qui s'échouent, qui s'éprennent d'amitié ou d'amour, aiment et détruisent, partent, meurent peut-être à leur tour ou ne reviennent jamais en tous cas...
C'est l'appel du large, l'appel de la mer, l'appel des marins épris d'ailleurs, d'autres îles peut-être, qui parfois ne reviennent pas ou bien si, ils reviennent alors toujours au même endroit, sur cette plage où le courant finit par les rejeter...
« L'océan se révélait dans sa courbure et son immensité, son fracas en bas et sa tranquillité au loin. »
J'ai trouvé que le personnage de Danaé était construit de manière subtile, subissant et choisissant à la fois son destin, au gré de ses rencontres qui façonnent son existence.
Les personnages masculins sont également magnifiques autant dans leur générosité, leur bravoure, que dans leurs lâchetés. J'ai aimé comme s'il fut déjà un ami celui qui s'appelait Enoc Martel, voulait créer une école, apprendre des histoires aux enfants... Allez savoir pourquoi ?
Je me suis laissé séduire par le rythme d'un conte, digne de la légende de la mort, d'Anatole le Braz.
Ys, ville engloutie à jamais...
J'ai aimé venir m'échouer dans l'imaginaire d'une autrice et sa langue inventive, à la rencontre de l'imaginaire d'un mythe insubmersible.
La force de cette fantasy, c'est sa force narrative incroyable comme si elle racontait une fresque sociale et historique, celle des gens de mer qui me sont si chers.
« Ce qui fait que la mer est mer, c'est que toutes ses contradictions y existent en même temps. »
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