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Critique de HundredDreams


Comment passer à côté de ce roman à la jolie couverture marine lorsque l'on aime l'océan et la mythologie qui s'y rattachent ?
Ce roman faisait partie de ceux que j'avais noté dans ma liste de Noël, une liste drastique, mûrement réfléchie. A la fois conte mythologique, littérature de l'Imaginaire, roman d'aventures maritimes, roman historique, ce roman avait tout pour me plaire.
Je ressors de ma semaine de lecture enchantée par ce roman dépaysant.

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L'histoire se déroule au XVIIIème siècle.
On suit le parcours de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin, enfant dans les premières pages. Née sur l'île d'Ys, au large de l'Atlantique Nord, on ne sait presque rien de cette petite orpheline, à part qu'elle possède un don rare, celui de savoir nager.

« Un soir, il lui avoua qu'au tout début il s'était interrogé sur sa nature, l'avait prise pour une sirène, elle qui se baignait partout, qui évitait de chanter comme pour ne pas ensorceler les mortels. »

On la sent solitaire, tempétueuse, opiniâtre, intelligente. Malgré sa pauvreté et sa solitude, son envie de s'élever et de vivre dans le confort de la cité fortifiée, hors d'atteinte des grandes marées d'équinoxe ne la quitte pas. Mais pour pouvoir y habiter, la sélection est drastique et n'importe qui n'a pas le privilège de devenir citoyen. Pour avoir cette chance, il faut retenir l'attention du jury de la Saine Rotation ou être invité par un résident.
En attendant, Danaé vit sur les plages aux Echouements au milieu des exclus, des déchus, de fiers marins et de leur famille, se nourrissant des fruits de la pêche et des naufrages des bateaux échoués sur les récifs raboteux et traitres.

« Danaé était orpheline. Les orphelines du rivage étaient comme la mousse jaunâtre qui s'accumulait dans les rigoles de roches et sur les alignements de varech : des résidus du gros temps. »

Son destin sera façonné par ses rêves et ses rencontres, par ses amours et ses déceptions, par la haine et les désillusions.

« Y a-t'y vraiment en ce monde des événements complètement bons et des événements complètement mauvais ? Rien n'est jamais gratuit dans la vie. Quand on a le vent dans le dos à l'aller, on l'a dans la face au retour. »

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L'un des points forts de ce récit est la qualité de la narration.
L'écriture de cette jeune romancière québécoise est tout simplement magnifique, élégante, empreinte de pigmentations contrastées et d'infusions sensorielles : le gris acier de l'océan, le bleu profond du ciel et la blancheur crémeuse des crêtes des vagues ; le bruit des vagues, des oiseaux marins, des assauts du vent qui souffle en rafales et devient meurtrier ; l'éclat d'une bonne pêche, le timbre de la peur, la tonalité du deuil.
Dominique Scali utilise une prose à la fois poétique et insensible, réaliste et acerbe, élégante et douce, intense et colorée, sombre et mystérieuse, ce qui donne beaucoup d'intensité et de profondeur au récit.
De cette façon, sa plume devient tour à tour, douce, cotonneuse, indigente, glaciale, ou poisseuse. Elle se gorge de tempêtes balayées de bourrasques violentes, brise les navires pour n'en laisser que des carcasses, s'imprègne d'embruns salés, s'évapore dans des brumes épaisses, se noie dans ses profondeurs, plongeant les lecteurs dans des nuits glacées et vides, emplies de drames humains, de tristesse et de larmes.

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Si Danaé est l'héroïne de ce long récit, j'ai trouvé qu'Ys et l'océan étaient les véritables protagonistes de ce livre monde.

De courts chapitres s'intègrent astucieusement à l'histoire de Danaé : en effet, l'autrice évoque ce peuple courageux de marins, l'histoire de leur île aux contours accidentés, mais aussi leur culture, leurs traditions, la nécessité de piller les bateaux échoués pour survivre. Pour cela, l'autrice n'hésite pas à utiliser un vocabulaire issois auquel le lecteur s'adapte très vite.
Au fil des pages, on découvre le fonctionnement hiérarchique très organisé qui permet aux Ylois les plus méritants, lors de la Saine Rotation, de devenir citoyens et de vivre dans le confort de la cité d'Ys.

Les descriptions de l'océan et des paysages marins dessinés de petites criques, des lumières changeantes du ciel et du vent marin, des dangers de la mer et de la vie des habitants de l'île sont incroyables de précision et d'une beauté indomptée.
Tour à tour, généreux ou cruelle, nourricier ou funeste, l'océan dessine une côte tranchante, effilée, bardée d'affleurements traitres et meurtriers, que le brouillard vient subitement effacer pour mieux piéger les bateaux.
En drapant cette petite île d'une brume cotonneuse, en rendant invisible et insaisissable ses contours, les flots engloutissent voracement, perfidement, ceux qui s'en approchent de trop près, et transforment ses fonds en un cimetière de bateaux.

« Ils s'en remettaient à la prière et, même quand ils cessaient de prier, ils continuaient de se soumettre à la toute-puissance de l'ogresse océane comme à une bête qui requiert son tribut annuel de victimes. »

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Dominique Scali nous plonge dans une histoire captivante qui donne vie à des personnages aussi généreux et attachants que sombres et méprisables. Les protagonistes sont si bien développés qu'on a l'impression de les connaître intimement.
Ainsi, se mêlent à l'histoire de Danaé, des personnages hauts en couleur qui donnent vie à ce récit passionnant : les riverains et les citadins, les saleuses au tempérament revêche et les sans-miroir, les élégants et les pêcheurs. Les personnages sont confrontés à des choix difficiles qu'ils doivent ensuite assumer, ou pas.
Ainsi, la tragédie s'invite tout au long du récit.

« Les marins issois ne capitulaient devant rien ni personne. Rien, sauf la mer elle-même. Chacun allait un jour creuser son trou dans l'océan sans se débattre. »

Cela rend le roman prenant tout en apportant une réflexion sur l'être humain.
Le roman aborde ainsi des thèmes universels tels que, l'amour et la confiance, l'amitié et la loyauté, la trahison et la haine, les motivations et les manipulations.

"Les vrais marins, vous ne les possédez que lorsqu'ils sont revenus, mais ce n'est qu'en mer qu'ils vous aiment vraiment, quand ils s'ennuient de vous."

De plus, en apportant une critique subtile de cette société insulaire marquée par les inégalités sociales et le désir d'ascension sociale, les privilèges, la richesse et le pouvoir, la place des femmes et des enfants dans la société, l'autrice contribue à apporter au roman une note actuelle.

« La mer change tout le temps et pourtant rien ne change »
« C'te muraille, elle a beau être magnifique et imposante, elle ne sert pas vraiment à protéger la cité. Elle sert à camoufler ses vices. »

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Pour conclure, « Les marins ne savent pas nager » est un roman-univers audacieux et original magnifiquement écrit et riche en belles thématiques.
A la fois mystérieuse, dangereuse, cette île m'a complètement ensorcelée. Mais si j'ai adoré cette ambiance marine aux fragrances mythologiques, j'ai été également séduite par son héroïne aussi attachante qu'intrépide, et tous ses personnages secondaires parfaitement campés.

Une très belle découverte, et une jeune autrice à suivre.
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