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Citations sur La fin de la mégamachine (16)

Bien avant la révolution industrielle, les militaires, les pédagogues, les fabricants et les savants ont rêvé d’une société organisée sur le modèle de la machine
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Comme dans l’Apocalypse, la division du monde suit aujourd’hui une ligne abstraite : le monde terrestre, concret, donné par la nature, est réprouvé, il est changé en étang de feu ; en revanche, du ciel descend une ville complètement abstraite, à angle droit, qui « est de l’or pur, comme du cristal bien pur », et dont les dimensions sont prises à l’aide d’une mesure en or4. L’imaginaire de Jean est aujourd’hui devenu réalité, de manière inquiétante, dans les centres villes de Sao Paulo, de Singapour, de Dubaï et de Houston. Les ingénieurs et les architectes du monde moderne ont pris la place de Dieu et travaillent à une seconde Création artificielle. Dans ce monde, « de mort il n’y en aura plus ; de pleurs, de cris et de peines, il n’y en aura plus »5. Mais le prix de ce projet démesuré, c’est la destruction de la première Création. C’est une amère ironie de l’histoire que le fantasme d’exercer un pouvoir total sur la Création soit à l’origine né d’un mouvement de révolte contre le pouvoir.
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A travers de multiples sécularisations, cette vision a profondément marqué la civilisation occidentale jusqu’à aujourd’hui. Avec l’émergence d’une économie capitaliste mondiale depuis le xvie siècle, elle a connu, comme nous le verrons dans le chapitre six, à la fois une renaissance et une réinterprétation, surtout dans les doctrines calviniste et puritaine. Le marché est chargé d’exécuter la volonté divine qui divise l’humanité en élus et damnés. Le lien entre pensée apocalyptique et capitalisme est aujourd’hui d’une actualité inquiétante. Dans les global cities modernes, la Jérusalem céleste se trouve souvent juste à côté de l’étang de soufre. Tandis que les élus, dans leur tour de verre, regardent défiler sur leurs écrans les chiffres, les lettres et les images, les réprouvés du marché mondial croulent quelques rues plus loin sous les monceaux d’excréments et de déchets produits par les habitants des cieux. Ce qui distingue l’un de l’autre un habitant des bidonvilles et un cadre en pleine ascension sociale, ce sont les chiffres consignés dans la version contemporaine du livre de vie : le compte en banque. Celui qui, au xxie siècle, n’est pas inscrit dans le livre de la banque, n’a d’autre perspective que l’étang de soufre et de feu.
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La nouvelle Jérusalem n’est pas un lieu ouvert à toutes et à tous. Ce n’est pas l’utopie d’un monde pacifique, juste et réconcilié, telle qu’on la retrouve dans les Évangiles quand il est question du « royaume des cieux » ou chez les prophètes de l’Ancien Testament. C’est le lieu d’une division radicale de l’humanité en élus et réprouvés. D’un côté, il y a ceux qui sont enregistrés dans le livre de vie : c’est pour eux que la cité céleste, la nouvelle Jérusalem est créée, belle « comme une jeune mariée parée pour son époux »2. De l’autre côté, il y a ceux qui n’ont pas été retenus, les irrécupérables : qui n’est pas inscrit dans le livre de vie sera précipité pour toute éternité dans un étang de soufre et de feu
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Mais ce n’est pas seulement notre imaginaire qui est obsédé par la pensée apocalyptique. Aucune autre civilisation n’a jusqu’à présent réussi à produire plusieurs éventualités réelles de fin du monde, de la guerre atomique au désastre écologique en passant par la dissémination de virus mortels hors des laboratoires où ils ont été trafiqués. Ces scénarios réels sont liés d’une manière singulière aux scénarios imaginaires : on dirait presque que c’est la quête multimillénaire de la nouvelle Jérusalem qui, précisément, a conduit aux potentiels de destruction qui menacent aujourd’hui notre avenir. Car le revers du Meilleur des Mondes que nous offre la société de consommation est une planète pillée et calcinée ; le revers de la maîtrise de la puissance atomique – à laquelle sont liées les utopies les plus audacieuses depuis les années 1950 – est la possibilité d’une guerre anéantissant tout ; et la création de formes de vie artificielles dans les laboratoires entraîne le danger d’une pandémie globale. Qui sont les extra-terrestres qui dévastent la Terre dans les films apocalyptiques comme Independence Day et Oblivion ? En fait, c’est nous.
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« L’imaginaire apocalyptique est l’un des traits les plus saillants de ce que nous appelons la « civilisation occidentale ». Le cinéma hollywoodien, par exemple, est littéralement obsédé par l’idée de destruction du monde. Mais l’imaginaire apocalyptique ne se réduit pas à cette idée : il nous traverse bien plus profondément. A l’origine, les apocalypses ne s’achevaient pas avec la fin du monde, mais avec la création d’un nouveau monde, d’une Jérusalem céleste. Les utopies rédigées au début des Temps modernes, comme la Cité du soleil de Tommaso Campanella et la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, étaient d’inspiration apocalyptique, de même que les mouvements issus de la Réforme, les anabaptistes et les premiers colons d’Amérique du Nord. Au xxe siècle, les plans de ville futuriste de Le Corbusier ou le projet de créer un « homme nouveau » en Union soviétique – même si leurs promoteurs auraient fermement démenti toute inspiration religieuse – étaient au fond les formulations achevées d’un programme apocalyptique vieux de plus de deux millénaires. Ce n’est pas un hasard si les plans en damier des quartiers d’affaire modernes et leurs façades de verre, dans lesquelles se reflète le soleil, rappellent la description de la Nouvelle Jérusalem dans l’Apocalypse de Jean. Au cours de l’histoire, l’imaginaire apocalyptique s’est révélé littéralement opiniâtre. C’est étonnant à quel point il traverse la plupart des systèmes de pensée. Il est chez lui aussi bien dans le christianisme que dans le culte athé du progrès.
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