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Critique de oblo


Jeune médecin viennois, Florestan semble mener une vie bourgeoise rangée, entre son foyer familial et la visite de ses patients. Au lendemain d'une soirée passée avec son épouse Albertine, où tous deux ont gentiment flirté avec d'autres partenaires, Florestan avoue qu'il a éprouvé une vive attirance pour une jeune femme lors des dernières vacances passées au Danemark. Plus troublant encore, Albertine lui révèle qu'elle aussi a été sous le charme d'un officier danois, dont un seul mot aurait suffi à briser un mariage apparemment heureux. Plus tard, après s'être rendu au chevet d'un personnage important, Florestan décide de parcourir la ville pour chercher l'aventure. S'il demeure insensible aux deux premières femmes qu'il rencontre - Marianne, la fille du Conseiller qui s'est énamourée de lui - et Mizzy, une jeune prostituée, Florestan succombe aux charmes d'une femme masquée qu'il a rencontrée dans une soirée clandestine dont il a eu connaissance par un ancien ami d'université devenu pianiste. Étranger dans cette soirée dont il suppose qu'elle réunit des personnalités importantes de l'empire, Florestan est confondu, et son erreur est rachetée par le sacrifice de cette femme masquée.

Pour tout amateur de Kubrick, l'expérience de lecture peut se révéler assez troublante. Les images du film s'imposent à l'imagination du lecteur, d'autant que le scénario est relativement fidèle à la narration de Schnitzler, avec cependant une part de rêve plus importante dans le livre. En effet, Schnitzler laisse une part d'interprétation au lecteur, et il est difficile de savoir ce qui tient, dans l'aventure nocturne de Florestan, au domaine du rêve ou à celui de la réalité. La soirée semble en effet correspondre au fantasme de Florestan, qui y rencontre une femme sans visage (elle est masquée) dont le corps nu et l'abondante chevelure suffisent à le séduire. La où les autres femmes - Marianne et Mizzy - s'offrent à lui, la femme mystère l'enjoint de quitter la soirée, et donc se refuse à lui. Au lendemain de la soirée, il est difficile à Florestan de prouver ce qu'il a vécu : la maison des plaisirs est un lieu modeste, et entouré d'autres maisons tandis que le corps que Florestan visite à la morgue, qu'il soupçonne être celui de la femme mystérieuse, ne provoque aucune certitude chez le jeune homme. Ce dernier doute d'ailleurs fortement de la réalité de ce qu'il a vécu. Enfin, le mot de passe de la soirée clandestine, Danemark, révèle bien la porosité de la frontière entre rêve et réalité, entre fantasme et jalousie. La thématique du rêve s'applique aussi à Albertine. Elle raconte ses rêves à Florestan, dans lesquels elle le trompe et se montre indifférente à son sort (elle le rêve nu, torturé, condamné à mort). Ces rêves ont une influence très forte sur le comportement des Florestan, qui y trouve le prétexte de découcher, d'envisager d'avoir une relation ponctuelle avec une autre femme et même de partir s'installer à l'étranger. le rêve comme révélateur du subconscient et donc des désirs profonds des êtres est une thématique freudienne que Schnitzler utilise ici comme prétexte narratif pour explorer les arcanes de la haute bourgeoisie autrichienne.

Ce ne sont pas ici les comportements supposés déviants de l'aristocratie impériale (dont on suppose seulement qu'elle participe à de telles parties fines) que veut mettre au jour Schnitzler. En réalité, Florestan et Albertine, mariés et parents d'une petite fille de six ans, marqués socialement par leur appartenance à une haute bourgeoisie proche des milieux de cour (le couple a du personnel, et un appartement en pleine ville de Vienne), s'ennuient terriblement. Derrière les atours de la réussite sociale et matérielle, Florestan et Albertine, qui d'abord paraissent légers et sûrs d'eux-mêmes - ainsi leurs prétendants au bal de la nuit précédente les ont rassurés quant à leur charme naturel -, sont troublés des révélations qu'ils se font mutuellement. Florestan cherche à outrepasser les interdits de sa classe, mais cela lui est refusé. Exclu de la soirée clandestine, il quête encore l'aventure en tentant de retrouver Marianne et Mizzy, lesquelles, de manière physique ou symbolique, sont absentes à son retour. le carcan social du mariage bourgeois et de la vie réglée se referme rapidement sur Florestan et ne lui autorise que des rêveries inoffensives que, comme tout rêve, il devrait oublier bien vite.
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