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Critique de colimasson


Et si Marcel Schwob était une femme, qui serait-il ? Sans doute bien cette Monelle sortie de l'ombre, prostituée qu'on imagine bien bavarder dans une chambre sinistre avec Emil Cioran par exemple, lorsqu'elle ne prêche pas son étrange parole à Marcel Schwob. Monelle, prophétesse modeste et obscure pour les temps à venir, s'exprime en aphorismes qui n'ont rien de naturel, et qui séduisent pour cette raison même. Monelle s'exprime pour la maïeutique de l'homme nouveau. Monelle n'a pas peur de la contradiction et enseigne que ce qui ressemble à un oxymore pour l'homme ordinaire est la logique de l'homme de demain. Pour seul exemple, citons ce célèbre passage :


« Pense dans le moment. Toute pensée qui dure est contradiction.
Aime le moment. Tout amour qui dure est haine.
Sois sincère avec le moment. Toute sincérité qui dure est mensonge.
Sois juste envers le moment. Toute justice qui dure est injustice.
Agis envers le moment. Toute action qui dure est un règne défunt. »


Monelle n'a pas peur non plus d'associer les grands inconciliables : l'ombre et la lumière, l'enfance et la maturité, la vie et la mort : les pôles contraires s'abolissent non pas dans la fusion, mais dans l'indifférence, eût égard à cet absolu de l'univers qui se fout strictement de notre existence. Et Monelle, que le narrateur aura rencontré pendant quelques éclatantes minutes, retourne aussitôt dans son univers sordide. A sa place apparaissent une lignée de petites soeurs dont chacune décline, sous la forme du conte, un état d'inachèvement de Monelle. L'égoïste, la voluptueuse, la perverse, la déçue, la sauvage, la fidèle, la prédestinée, la rêveuse, l'exaucée, l'insensible et la sacrifiée sont autant de modalités d'un même personnage. Elles traduisent la rencontre d'un instantané du personnage avec un instantané du monde. Ces soeurs sont tout ce que Monelle a été, ou aurait pu devenir si elle avait bénéficié du nombre de vies suffisant. Et Monelle réapparaît, plus lointaine que jamais, capturée seulement par le regard du narrateur que cette rencontre fait vriller d'une douce folie. Ici, Monelle se dévoile à la tête d'une communauté qui érige le syndrome de Peter Pan en vertu : immaturité et folie sont de moindres illusions face à l'illusion sérieuse de la réalité :


« Parmi nous, personne ne souffre et personne ne meurt : nous disons que ceux-là s'efforcent de connaître la triste vérité, qui n'existe nullement. Ceux qui veulent connaître la vérité s'écartent et nous abandonnent.

Au contraire, nous n'avons aucune foi dans les vérités du monde ; car elles conduisent à la tristesse.

Et nous voulons mener nos enfants vers la joie.

Maintenant les grandes personnes pourront venir vers nous, et nous leur enseignerons l'ignorance et l'illusion. »


Monelle apparaît, disparaît, se métamorphose et revient sous d'autres formes. Ce qu'elle dit et fait dire au narrateur ne veut rien dire : on peut ouvrir ce livre un jour et y lire ce qu'on a envie d'entendre mais le lendemain, on trouvera un contenu un peu différent, travaillé de l'intérieur par l'action du temps, cette étonnante porosité étant permise par la prose poétique et imagée de Marcel Schwob, entièrement dévolu à son projet de rendre gloire comme il le convient à sa divine Monelle.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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