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Critique de oblo


Palerme, à la fin du 18ème siècle. Tandis que les idées de liberté et d'égalité traversent l'Europe des Lumieres, la Sicile connaît une agitation tant sociale qu'intellectuelle. En effet, dans le couvent de San Martino, un vieux manuscrit arabe a été retrouvé. Mgr Airoldi prend les services du chanoine Vella, un religieux maltais qui vit de numérologie, pour le traduire. Sentant qu'il tient là une occasion d'être bien vu par le pouvoir royal, et donc d'être, éventuellement, pourvu d'une abbaye, Vella va faire oeuvre tant de création que d'imposture. le code de San Martino est en réalité une vie de Mahomet ; Vella en fait une histoire de la Sicile. Porté par son succès, il imagine le Conseil d'Egypte. Ce récit, fait supposément par les Arabes démis de leur mainmise sur l'île par les Normands, démontre la vacuité des prétentions de la noblesse et l'originelle toute-puissance royale. le livre agite fortement la société aristocratique sicilienne mais, sous la vice-royauté de Caracciolo, personne n'ose alors élever haut la voix.

Si la deuxième partie, très courte, est consacrée à une lettre de Vella au roi Ferdinand, la troisième prend pour personnage principal l'avocat Di Blasi. En effet, Vella, une fois son oeuvre terminée, retourne à son confort qu'il a cherché et obtenu. Di Blasi, donc, se retrouve bientôt au centre d'un complot visant à instaurer un régime républicain égalitaire. En cela, le Conseil d'Egypte représente une justification des abus de la noblesse sicilienne. Di Blasi est cependant bientôt arrêté. Avec un nouveau vice-roi, favorable à l'aristocratie, le vent a clairement tourné. Les sirènes égalitaires venues de la Révolution francaise se heurtent à l'hermétisme de la société sicilienne. Il faut dire que les idées françaises ont contre elles le souvenir des Angevins au Moyen Âge. Et tandis que Di Blasi est affreusement torturé et condamné à mort, chacun se démarque ostensiblement de Vella et de di Blasi.

Roman historique, le Conseil d'Egypte ne l'est pas seulement. C'est aussi une étude de moeurs : celle de la noblesse sicilienne, un peu comme ce qu'a fait Tommasi di Lampedusa dans le Guépard. Dans ce contexte d'Europe des Lumières, on voit s'affronter les forces libérales et les forces conservatrices, partisanes d'un immobilisme séculaire.

Il y a là aussi, de la part de Sciascia, une réflexion sur L Histoire et sur la façon dont on l'écrit. Si le Conseil d'Egypte suscite tant d'attentes et, finalement, tant de haine (le sort réservé à Di Blasi révèle la peur du camp aristocratique), c'est bien que le pouvoir des nobles est une fiction. L'Histoire porte en elle le statut de vérité qui justifie cette fiction sociale du pouvoir. Mais, en tant qu'écrit de la main de l'homme, L Histoire ne peut endosser cette fonction. Paradoxalement, c'est bien la fiction, ici, qui dicte le jeu : fiction sociale du pouvoir nobiliaire qui a pourtant une réalité matérielle et sociétale ; fiction littéraire du Conseil de Sicile et du Conseil d'Egypte qui légitime puis brise net la révolution de di Blasi. Peut-être plus encore que la fiction, c'est la notion d'imposture qui est interrogée ici. Chacun des personnages porte en lui une imposture : celle du copieur pour Vella, celle de l'autorité morale pour Airoldi, celle de l'autorité politique pour le vice-roi Caracciolo, celle du bon goût, de l'honneur, de la vertu pour tous ces messieurs et mesdames de la cour palermitaine. Et si l'on tremble de dégoût face au sort réservé au pauvre Di Blasi, ne doit-on pas reconnaître en lui l'imposteur de l'égalité ? Car, s'en faisant le chantre, il entraîne avec, et surtout derrière lui, puisqu'il est le meneur, d'autres gentilshommes dans sa chute.

On aurait tort cependant de faire du roman de Sciascia une oeuvre purement universaliste. Fondamentalement, c'est de sa Sicile dont parle l'auteur. Il en dresse une histoire pessimiste. L'île est gangrénée par les possessions foncières d'une caste et nul, de l'extérieur, ne peut l'aider. Quant à ceux de l'intérieur, qui voudraient faire suivre à la Sicile un autre chemin, ils sont bien vite condamnés. Sciascia n'écrit donc pas seulement sur le pouvoir, sur la légitimation de celui-ci, sur la capacité de l'homme à mettre par écrit ce qui fonde le pouvoir ; il peint aussi le sombre tableau de la nature profonde de son pays.
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