AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bequelune


Partant sur les pistes de la formation des premiers véritables Etats de l'humanité, dans la Mésopotamie antique, James C. Scott nous livre un pavé dont il a le secret. Une approche stimulante, originale, qui a le mérite de contester toute nos idées reçus. Plusieurs de ses affirmations restent cependant à confirmer par de nouvelles recherches et découvertes archéologiques.

L'histoire se passe en Basse Mésopotamie dans la deuxième moitié du IVe millénaire avant notre ère. Pour qui, comme moi, ne s'était intéressé que de loin à cet espace-temps, ce livre peut réintérroger bien des représentations. J'en étais resté à une vision classique : les hommes se sont sédentarisés, ont inventés l'agriculture pour pouvoir répondre aux besoins d'une population croissante, et l'Etat a germé de la nécessaire organisation d'une société de plus en plus nombreuse et complexe.

Sauf que cette vision, ce « grand récit civilisationnel », comme on peut l'appeler, a grosso modo tout faux. Et a du être abandonné devant l'accumulation des preuves archéologiques.

— D'abord, la sédentarité a très largement précédé l'agriculture. Dans les zones humides de Basse Mésopotamie, celles-là mêmes qui verront naitre les premiers Etats, la gamme de ressources alimentaires était si vaste et si varié que les chasseurs cueilleurs pouvaient s'installer en villages, sans avoir besoin d'être mobiles.

— de deux, l'agriculture n'a pas été un acquis « une bonne fois pour toutes ». Sur plusieurs millénaires, des traces d'agriculture apparaissent puis disparaissent, cohabitent avec d'autres modes de subsistance. En fait Scott note que tout donne à croire que les humains aient fait le maximum pour éviter d'avoir à trop dépendre de l'agriculture – activité fatiguante et peu productive au regard des multiples modes de chasse, pêche et cueillettes qui existaient dans cette région. C'est encore plus marqué pour la domestication : impossible de tracer un « avant » et un « après », ça semble s'être fait petit à petit, avec des allers retours, selon les besoins du moment.

— de trois, même quand il y a eu sédentarité, agriculture et société nombreuse, cela n'a pas automatiquement donné une société avec Etat. En fait, de façon générale, Scott – sources à l'appui – avance qu'il a fallu 4000 ans pour qu'apparaissent les sociétés agropastorales que nous associons au début de la civilisation.

Ensuite, une autre partie du livre est consacrée à expliquer le fonctionnement de ces premiers Etats (plutôt des Cités-Etats), leurs relations entre eux principalement faite de concurrence, et de guerres avec captures de prisonniers (pas des guerres de conquête de territoire), mais aussi leurs effondrements. Car c'est une donnée amplement documenté en Mésopotamie mais aussi en Chine, pourtour méditerranéen et Amérique centrale : partout où les premiers Etats se formaient, ils s'écroulaient au bout de quelques siècles, voire quelques années. N'en découlait pas forcément le chaos, mais plutôt des populations plus dispersés, en petits villages, voire un retour vers de la mobilité de chasseurs-cueilleurs.

La vie n'était pas forcément meilleure sous le joug d'un Etat – au contraire. Scott s'emploie à montrer comment une des premières contraintes d'un Etat devait être de fixer sa population autour d'un point central, notamment par la force. Etat = appropriation d'un excédent alimentaire, grâce à la culture des céréale, au profit d'une minorité non productive (dirigeants, prêtres, soldats...). Avant l'apparition des Etats, on ne trouve guère trace d'inégalités marquées – même dans les sociétés complexes et nombreuses.

De ce livre stimulant, je n'ai sans doute pas tout résumé, ni abordé l'intégralité des sujets. Je pointerais pour finir la faiblesse, la seule selon moi de cet ouvrage qui est par ailleurs amplement documenté, sourcé et dont on peut vérifier les dires par d'autres lectures complémentaires : la faiblesse, c'est le risque de raisonnement cyclique. Comme nous parlons d'époques dont les traces archéologiques sont lacunaires, on est obligé de travailler à partir d'hypothèses. Et Scott fait des hypothèses à partir de ses hypothèses ; si la 1ere s'écroule, toute la suite s'en trouverait invalidée.

Il n'empêche que la préface de Jean Paul Demoule, archéologue, préhistorien français et professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, est pour moi un immense gage de sérieux. J'apprécie énormément Demoule. La caution de l'ancien président de l'INRA n'est pas rien.
Commenter  J’apprécie          110



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}