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Critique de SPQR


Voilà une lecture marquante pour moi en ce premier tiers de l'année, probablement un des livres qui finira au sommet de mes lectures 2021. Ce premier tome d'une série de trois consacrée à Benito Mussolini et au fascisme italien n'est pourtant pas exempt de défauts, loin s'en faut. Mais ce pavé de plus de 800 pages reste une lecture passionnante pour tous ceux qui s'intéressent à cette période charnière de l'entre-deux guerres, et à ce début de XXe siècle décisif pour notre monde contemporain.

Car comment ne pas faire de parallèle entre notre époque et celle qui mena le Duce au pouvoir en 1922 ? Cette défaite des institutions et cette défiance de tous contre chacun qui permit à la violence de devenir un argument politique et social décisif… 100 ans plus tard, la démocratie est malheureusement toujours mourante, les grands industriels sont toujours aussi prompts à fouler l'éthique pour garantir leurs profits, et la défiance envers les politiciens est à son apogée.

C'est d'ailleurs, peut-être, l'un des défauts du livre : très ancré dans l'époque, ce roman documentaire se veut d'une précision historique maniaque, citant régulièrement des correspondances privées et autres discours publics, et prend rarement du recul pour mettre en perspective les événements. Ce qui rend parfois ce tome 1 étouffant et éprouvant, tant les répétitions sont nombreuses – on aurait aisément pu se passer de 200 pages ou plus. Pour nous faire vivre cette période, Antonio Scurati a choisi un récit méthodique et presque quotidien des états d'âme de Mussolini et du pays qui l'a porté au pouvoir. On y redécouvre un homme qui est « comme les bêtes : [il] sent l'air du temps » et sait manipuler les foules, mais qui ne comprend pas les individus, leurs préoccupations, et refuse de se faire des amis.

De début 1919 à fin 1924, nous voilà plongés dans ses réflexions et ses manoeuvres pour conquérir le pouvoir, avec l'objectif de faire de l'Italie « non une servante mais une soeur des autres nations européennes ». Même si Scurati n'est ni tendre ni complaisant avec Mussolini et ses acolytes Arditi, squadristes et autres anciens combattants ou partisans de Gabriele D'Annunzio, le fait de raconter la conquête du pouvoir du point de vue des fascistes (principalement) peut poser problème. Sur le fond, le travail documentaire est irréprochable (heureusement pour un roman documentaire et historique !), mais sur la forme le style de Scurati n'est pas des plus passionnants, et l'empathie pour Mussolini que son récit peut provoquer, peut-être malgré lui, reste relativement malhabile.

Aussi, on le sent fasciné par la violence incroyable de l'époque, où les rixes et meurtres politiques sont monnaie courantes. Les pages sont remplies d'exactions et de brutalité, pour nous faire toucher du doigt que cette histoire s'est écrite dans le sang, quelques années après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Un biais intéressant mais qui s'avère rébarbatif dans la durée.

Malgré ces quelques réserves, on dévore les chapitres courts de M, l'enfant du siècle, révisant une histoire qu'on connaît au moins dans les grandes lignes, et qu'on redécouvre dans des détails parfois surprenants. Voilà pourquoi j'ai vraiment hâte de lire les tomes 2 et 3, quitte à compléter ma lecture par la suite avec une biographie de Mussolini, un livre sur le futurisme, un autre sur Italo Balbo, etc. Car le roman de Scurati ouvre sur d'autres lectures, donne envie de se documenter à son tour sur l'entre-deux guerres. Et ça, c'est une très grande qualité.
Enfin, ce pari de rendre l'Histoire lisible pour tous par le biais d'un roman « vrai », dans lequel tous les personnages sont des personnes historiques, me paraît une idée assez fascinante et attirante pour ceux qui préfèrent les atours du roman à ceux de la biographie ou de l'essai. Une réussite donc, tant par l'ambition du projet que sa mise en oeuvre.
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