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Critique de LaBiblidOnee


Il était une fois un champ infertile, une terre vendue à la commune qui en a fait un cimetière « Elle ne valait rien pour les bêtes, elle ferait bien l'affaire pour les morts ». Entre alors en scène un homme, dont les souvenirs se mêlent à l'imaginaire. Cet homme pourrait être moi. Ou vous. Est-ce que ça vous arrive parfois, de trouver certains cimetières apaisants et de vous demander quelle a été la vie ou la mort de ces gens, d'entendre leurs voix dans le bruissement des arbres, de leur répondre en pensée ? D'écouter, de guetter la présence d'une âme… d'imaginer, de vous laisser envahir par le murmure de dialogues qui n'existent pas, mais qui exacerbent vos sens et vous font vous sentir, par une étrange opposition, vivants ? Certaines épitaphes parlent de la vie autant que de la mort du défunt, et permettent à l'imagination de réécrire son histoire.


Entre en scène ce villageois, donc. Il vient presque tous les jours. Il s'assoit sur le banc vermoulu et il écoute, s'interroge : Que raconteraient les morts, si leurs voix s'élevaient d'outre tombe ? « Il s'imaginait ce que ça donnerait si chacune des voix avait l'occasion d'être entendue une dernière fois ». Parlerait-elle de la vie ? « Il se disait que l'homme n'était peut-être en mesure d'évaluer définitivement sa vie qu'après s'être débarrassé de sa mort ». Ou bien les morts parleraient-ils de ce que ça fait d'être désormais de l'autre côté ? « Rappelé. Arrivé. Accueilli. Transformé. » Finalement, « le soupçon l'effleurait que les morts, comme les vivants, se répandraient en banalités, en gémissements et en fanfaronnades. (…) Ils ne parleraient peut-être que de ça, de leurs infirmités, et de leur mort ».


De leur mort, peut-être. Mais si l'on sait écouter, on entend aussi leur vie, qui est également celle du village avec ses relations tissées au fil des ans, ses interconnexions hasardeuses, ses solitudes qui se croisent. Car tous les morts, enterrés là, on vécu ensemble dans ce village. Tous ont mêlé leur vie privée à celle de la communauté. Leur mort englobe autant leur vie que celle des autres, qu'ils ont touchée du doigt de leur vivant. Ainsi se suivent, mais ne se ressemblent pas, les récits d'un moment de la vie de chaque citoyen enterré là, qui nous mène à la suivante, puis à celle d'après… Comme des nouvelles interconnectées. Liées les unes aux autres, elles se répondent comme nos vies à tous, nous qui nous croisons ici ou là, entre deux livres, au gré de quelques mails ou de rencontres. C'est à la fois grisant d'assister à la vie du village qui se réanime sous les paroles de ces morts vivants, et touchant d'entendre leurs secrets intimes, livrés à leurs plus proches parents auxquels s'assimile le lecteur, puisqu'il est mis dans la confidence.


Hanna HEIM entame le bal, qui ne parvient plus à se remémorer les derniers mots délivrés à son amoureux, lorsqu'elle était sur son lit de mort. Elle se souvient pourtant les minutes qui ont précédés, et ses derniers souvenirs enlacent leurs tous premiers, ceux de leur rencontre : mêmes doigts entrelacés, mêmes gestes de cet homme qui déjà veillait sur son arrivée en salle des profs, comme il a veillé à son départ pour l'au-delà. Mais que lui a-t-elle dit, au moment de s'en aller…? Suit alors le reste du cortège : le père Hoberg, qui a mis le feu à son église. Navid Al-Bakri, qu'il essayait sans cesse de convertir. Un jeune homme mourant d'un accident de voiture ; la doyenne du village du village, morte à 105 ans ; Un père qui donne à son enfant les conseils qu'il n'a pas eu le temps de lui délivrer avant de s'en aller. « Si j'avais compris (je ne dis pas « su », mais « compris ») que tout cela passe si vite, je me serais épargné quelques erreurs »…


… Et tous les autres. Tous ont un message de l'au-delà, jetant un éclairage nouveau sur la vie et sur la mort. Certaines morts sont plus rageantes que d'autres, certaines histoires plus fortes. Mais toutes forment un roman équilibré, avec une introduction et une conclusion qui se répondent, et un corps plein de vies enlacées dont le texte vous atteindra forcément. Un roman poétique, une plume belle et apaisée, loin d'être triste, qui questionne sur l'importance de la mort, qui donne toute sa valeur à la vie. Quel beau pied de nez, que ces morts racontant la vie !


Pour finir, il faut que je vous parle de la cinquième poussière d'étoile. Elle est pour la nouvelle en forme de dialogue, peu avant la fin, entre l'un des morts et celle qui vient se recueillir sur sa tombe : Une merveille à l'état pure. Ok, celle-là m'a vraiment faite pleurer. Mais c'est la seule, promis, croix de bois, croix de fer… Je n'ai pas pu rester de marbre. Parce que quelqu'un capable d'écrire un dialogue qui me transperce le coeur comme ça, c'est ça pour moi, un écrivain.
Ainsi je referme ce livre avec empathie mais sans tristesse, l'impression d'avoir vécu mille vies, d'avoir ressenti à quel point nous sommes tous liés. Mais surtout bien décidée à profiter de celle qui m'est offerte. Pour pouvoir affirmer, comme l'épitaphe de Romain Gary : « Je me suis bien amusé, au revoir et merci. » Et vous, vous êtes-vous demandé quelle pourrait être la vôtre ? « O.K… Je dois y aller maintenant. » (Dee Dee Ramone)
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