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Critique de Etsionbouquinait


Il n'est probablement pas nécessaire de présenter Anna Seghers, l'auteure allemande connue pour ses romans Transit ou La septième croix (les deux également portés à l'écran). Née en 1900, issue d'une famille juive et membre du Parti communiste, ses livres sont interdits par le régime nazi et elle est contrainte de s'exiler. Elle passera plusieurs années au Mexique et c'est justement dans cette région qu'elle se souvient d'une journée lointaine du temps où elle était encore une jeune fille. La nouvelle dont je vais vous parler aujourd'hui, L'excursion des jeunes filles qui ne sont plus, est en effet un flot d'images, de souvenirs d'un monde qui avait encore les deux grandes guerres devant lui…

L'auteure se promène dans un village mexicain et soudain, réveillée peut-être par une association d'odeurs ou d'images, deux petites filles se matérialisent devant elle. Elle se sent transportée des années en arrière. C'était une journée ensoleillée encore avant la première guerre mondiale lorsqu'une classe d'écolières faisait une sortie scolaire – une excursion en bateau à vapeur sur le Rhin. Elles se retrouvent maintenant au bord de l'eau, faisant une pause.

Dans l'air flottent une parfaite insouciance, la jeunesse, une sorte de légèreté, de fraîcheur et de l'excitation. Anna Seghers décrit délicieusement chaque fille par quelques mots et on voit défiler devant nous de jolies jeunes filles avec des cheveux tressés, dans des robes à pois, des visages lisses « comme des pommes », joyeuses.

En face de cette insouciance, l'auteure montre à travers certains détails ce que les filles ou les enseignantes sont devenues pendant les deux guerres. En liant directement dans la même phrase l'image de deux filles bras dessus, bras dessous et l'image de l'une refusant de l'aide à l'autre car elle ne veut pas se salir les mains avec quiconque serait contre le régime, elle démontre encore une fois l'énorme gâchis qui fut la guerre, mais surtout cette déformation qu'elle a causée chez la plupart des protagonistes. Rire ensemble et cracher sur l'autre des années plus tard à cause d'une origine juive. Se confier l'une à l'autre et refuser d'aider son enfant… le côté éphémère ressort beaucoup de ces lignes : un artisan qui se félicite pendant la Grande guerre que seule la devanture de son magasin soit abîmé se voit perdre toute sa famille et ses biens dans un bombardement lors de la Seconde Guerre mondiale.

La nouvelle ne comporte qu'une trentaine de pages mais elle est d'une force indéniable. Les bombardements, les camps de concentration, les tortures. Aucune des filles n'a survécu. Malgré cet abîme, toutes ces familles décimées et les destins brisés, cette journée ensoleillée, idyllique a bel et bien existé, marquée par la joie du moment présent, suspendu dans l'air. Et au final, c'est lumineux et vraiment beau.


Lien : https://evabouquine.wordpres..
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