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Critique de Maldoror


Si vous voulez apprendre à allumer un feu sans allumettes sous la pluie ou à nager dans un banc de piranhas affamés au milieu de rapides amazoniens ou à échapper aux complications gastriques liées au dernier Beaujolais nouveau, vous vous trompez de bouquin. Votre truc serait plutôt le Manuel des Castors Juniors. Ici, les exercices de survie dont il est question, ne sont pas explicites, mais on devine qu'il en a fallu à Jorge Semprun dans son passé d'homme d'action et de militant lors de la seconde guerre mondiale et en Espagne sous Franco, et qu'il a même fallu que sa vie d'alors ne soit qu'un unique exercice de survie continu, pour, au bout du compte, être là et témoigner.
Mais au-delà de la survie, les exercices du livre sont avant tout ceux de la mémoire. En effet, la narration n'est pas particulièrement chronologique ou structurée, mais fonctionne plutôt selon la logique de la pelote de laine, un souvenir en appelant un autre, avec des retours en arrière, des ressassements, des répétitions, qui illustrent la dynamique de cette mémoire, et en balisent la ligne directrice.
Qui dit survie, dit bien sûr confrontation avec un contexte de mort et de souffrance. Effectivement, la torture et les vécus de l'auteur face à celle-ci emplissent le texte. S'il paraît qu'il en avait très peu parlé jusque-là, on mesure ici combien elle a contribué à le construire et à le marquer de son impact jusqu'à la fin de sa vie. On peut d'autant mieux l'évaluer que, bien que le discours rende essentiellement compte de souvenirs de combattant et de militant, le propos revient fréquemment sur la question au fil des évocations, comme dans une boucle compréhensiblement entêtante. Mais à tous ceux qui s'attendent à des descriptions de tortures, à des scènes sauvages et insoutenables, là encore vous vous êtes trompés de bouquin. Votre truc serait plutôt le genre S.A.S. Ici, on ne lit pas de grandes considérations sur la torture, ses techniques de l'antiquité à nos jours etc., mais essentiellement le retour d'une expérience concrète et son impact existentiel pour l'auteur et ce qu'il pense valoir aussi pour tout homme.
Malgré la gravité du sujet, le style avant tout très simple n'en fait pas un sujet particulièrement lourd. En effet, la sobriété et l'honnêteté du texte rende la question a priori accessible à tout le monde, même si le seul supplice que vous avez enduré, est de vous être coupé avec une feuille de papier en lisant un livre, ou d'avoir lu l'intégrale de mes critiques. Toutefois, même s'il l'exprime sans gloriole, sans romantisme particulier, l'auteur n'est pas dénué d'une certaine fierté et est bien conscient que le club des torturés constitue une catégorie d'humains de facto à part. Nous comprenons ainsi que cette épreuve humaine radicale peut se vivre de manière paradoxale au cours du temps vis-à-vis des autres hommes. En effet, tout d'abord, la sublimation de la fraternité et de la solidarité humaines lui a permis de tenir dans la souffrance. Puis, avec le temps, l'épreuve le distingue des autres.
La valeur du livre est évidemment celle de ce témoignage simple et profond sur l'inhumain et sur l'incapacité de ce dernier à malgré tout borner l'action et la détermination humaines. C'est donc avec un grand respect et une réelle admiration pour l'auteur que l'on referme le livre.
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