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Critique de ABSOLUCILLE


L'Écriture ou la vie : ce titre s'articule sur un système de deux propositions, engageant nécessairement, par cette injonction, l'adoption d'un choix univoque, la mise en place de cette proposition et l'abandon de l'autre. Dès lors, le titre-même de l'oeuvre exprime et incarne, in medias res, le dilemme de l'auteur, s'efforçant de faire un choix impliquant sa propre vie, ayant pourtant déjà, durant sa déportation concentrationnaire, été mise à l'épreuve, torturée, bafouée et forcée d'expérimenter une mort vécue.

Avec L'Écriture ou la vie, Jorge Semprún aborde ainsi, non pas simplement l'horreur de son expérience de déporté entre les murs du camp de concentration de Buchenwald (l'horreur étant une « évidence » du Mal), mais bien l'essence-même de « l'expérience du Mal radical » que celui-ci a subi, et qui s'éprend de lui lorsqu'il tente de se replonger dans sa mémoire, et d'en extraire son témoignage. Dès lors, l'acte d'écriture se place en opposition à « la vie », tel un sentiment de résurgence de la Mort dans son esprit, qui fait montre de la difficulté de se réactualiser un passé encore présent dans la conscience des survivants. Garder conscience du présent dans lequel son corps se trouve lorsqu'il écrit, et ne pas sombrer dans les limbes de son esprit meurtri, n'est pas seulement une question de confort, mais bien une nécessité pour continuer à vivre, tout en écrivant.

En cela, par ce titre et ces mots de l'auteur, nous retrouvons le germe de l'oeuvre, qui, d'une part, est une tentative de reconstruction de l'histoire afin d'acter sur papier, cette réalité ne semblant que peu l'être, par son atrocité, mais aussi, d'une autre part, l'histoire de cette tentative, du procédé douloureux de composition du récit, induisant toute la dimension sensorielle de son vécu de concentrationnaire s'éprenant à nouveau de lui. Jorge Semprún s'efforce ainsi d'exorciser cette mort vécue : un acte presque contre-nature, de réminiscence forcée d'un passé traumatisant, qu'il parviendra à mettre à l'écrit seulement à partir de 1987, après avoir longuement, à plusieurs reprises, remanié sa mémoire, en précédant L'Écriture ou la vie d'autres ouvrages, tels que le Grand Voyage (1963), dans lequel il expose son départ pour le camp de Buchenwald.

Si l'historien peut être considéré comme un garant de la véracité des faits historiques, son travail demeure néanmoins insuffisant, jusqu'à ce que, Jorge Semprún, Primo Levi, et tous ceux ayant plongé leur plume dans le tourbillon de la mémoire, rendent compte des évènements par l'expression de leur propre vivencia, un Humanisme épistémologique permettant de suturer les béances ou fragilités du traitement des faits historiques.

Et s'il est pragmatique d'affirmer que l'oubli est un absolu auquel on ne peut échapper, le fait de tout mettre en oeuvre pour témoigner de ceux que l'oubli n'a même pas pu toucher - puisqu'ils étaient déjà invisibilisés, méconnus, noyés dans la masse des victimes - est toutefois primordial.

En définitive, L'Écriture ou la vie est un roman autobiographique qui oeuvre pour la mémoire collective, mais également pour la réhabilitation de son auteur, en tentant d'exorciser les séquelles psychologiques de cette vivencia mortifère.

Et si L'Écriture ou la vie nous parle de la mort, et de ces millions d'êtres invisibles, n'ayant pas pu en réchapper, elle est surtout une oeuvre pleine de vie, et de vies.
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