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Critique de djathi


Requiem pour un paysan espagnol

Une oeuvre , courte , dense , qui claque , sans échappatoire pour le lecteur .

Ecrite en 1953 au Mexique par Ramon Sender qui débutera sa carrière d'écrivain par cette première oeuvre majeure. Ce court récit est un écho lancinant des souffrances du peuple espagnol en cette période trouble de la montée du fascisme , qui marquera l'histoire de ce pays durant des décennies; Ramon Sender lui même étant touché directement par la perte de sa femme et de son frère dans cette guerre silencieuse , utilisera sa plume pour mener son propre combat et continuer à vivre.

Mosen Millan curé de campagne se prépare à dire une messe pour Paco ,jeune homme fusillé par les phalangistes ; dans l'attente des fidèles , sous le regard d'un enfant de coeur qui chante l'hymne qui circule depuis cette tragédie, sur ce héros de l'histoire , le prêtre se souvient .....

Du baptême du nourrisson associé à ses papilles régalées en ce jour de fête ...

De l'enfant "Paquito"qui servit à ses côtés dans l'église , enfant de choeur bien-aimé ,

Du jeune homme curieux , et trop souvent dérangeant par son regard trop plein de questionnements sur l'ordre établi ,

De cet ordre justement , si bien gardé jusqu'alors où chacun avait sa place , noblesse ou paysannerie , et tout allait bien ainsi ...Avec les plus pauvres parmi les plus pauvres loin du centre villageois , dans les grottes ....parce que ça fait désordre et qu'on n'y peut rien,
Chut ,

De l'audace de Paco devenu homme qui refuse de se taire et bouleverse tous les rouages de cette structure ancestrale pour avancer vers la libération du peuple soumis encore au servage ,

De"la Jéronima" sorcière représentante des temps ancestraux où les croyances paiennes régulaient les passions des hommes , de Don Valériano et de Don Gumersindo représentant la puissance nobiliaire inattaquable , du rôle de chaque membre de cette petite communauté , rôle inébranlable jusqu'alors , bien gardés par la conscience collective ,

Et puis ....de son rôle à lui ....qui le conduit , au nom de Dieu le père tout puissant à ne pas pêcher par le mensonge et à faire acte de délation lorsque les fascistes poursuivaient Paquito , Paco ....l'homme au grand coeur , libre et rebelle ....
Dans la sacristie , il attendra en vain l'arrivée des villageois : le peuple a parlé par son absence .

Seul face à Dieu , seul face à sa conscience douloureusement tenue en éveil par la présence des trois notables impliqués dans l'assassinat de Paco et qui viennent payer la messe dans un souci de maintien de l'ordre immuable !

Les yeux fermés , tout au long de ses réminiscences qui remontent en surface , rythmé par le chant litanique racontant l'histoire de Paco mort pour le peuple .....

A travers une écriture elliptique , sêche , aride , des personnages symboliques aussi burlesques que dramatiques , Ramon Sender a su faire de cette oeuvre subversive , un pilier incontournable pour qui veut appréhender l'histoire de l'Espagne de l'intérieur .

Longtemps interdit en Espagne et circulant souvent sous le manteau , il fallut attendre la mort de Franco pour qu'il soit publié et dans son engagement sans réserve , Ramon Sender renoncera à ses droits d'auteur permettant ainsi une plus grande diffusion .
Une oeuvre magistrale .
J'ai regretté de ne pas l'avoir lu dans sa langue : les sons gutturaux de l'idiome espagnol accentuant sans aucun doute l'impact de ce récit rude , sobre et qui agit sur le lecteur avec un certain décalage dans la temporalité : l'impact ne se ressent pas dans l'immédiateté tel les contes et légendes .....
Au delà de son sens politique , Ramon Sender offre aussi une immense réflexion universelle : celle de la notion de culpabilité liée au sens du devoir démontrant la complexité du "dur métier de vivre" pour l'homme englué dans ses passions , sa moralité , ses appartenances religieuses et sociales .
On retrouvera d'ailleurs ce même thème dans la nouvelle "Le gué" , tout aussi poignante mais plus intimiste .

Le gué

A travers ce court récit , on retrouve les obsessions de Ramon Sender dans la culpabilité , la recherche de l'expiation , la délation dans une Espagne tourmentée , et la solitude de ces êtres à la dérive , aussi victimes que bourreaux , cherchant une issue pour échapper au poids du remords et du péché .

Lucie qui dénonça l'amour de sa vie aux franquistes parce qu'il s'était marié avec sa soeur ,
Lucie toute douleur qui traine désormais ce lourd péché de plus en plus insupportable ,
Lucie qui ne trouvera aucune réponse à sa quête de rédemption après sa confession ( l'accointance du pouvoir politique et religieux de l'époque ne voyant aucune forme de péché dans la délation d'un opposant au régime faciste !!!) ,
Lucie sombrant dans la folie ....ultime refuge pour supporter son fardeau ....par choix autant que par nécessité pour survivre !

Un texte d'une force poétique incroyable , et qui met en relief toute la complexité de l'homme , pétri de contradictions , soumis aux lois externes régis par les hommes , conditionné par un héritage culturel judéo-chrétien , chargé de tant de paradoxes qui l'ensevelissent dans la douleur première : celle de la culpabilité .

Un texte qui s'accroche au lecteur , ouvrant toutes les failles secrètes ou inconscientes et mettant à nu l'homme ..."l'homme de tous les temps , de tous les cieux , l'homme qui te ressemble ."
Un texte inoubliable .
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