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Critique de Lutopie


" Êtes-vous sûrs que nous sommes éveillés ? Il me semble que nous sommeillons encore, que nous rêvons."

Le solstice d'été confère toute sa puissance évocatrice et sa merveilleuse magie au titre de la pièce de Shakespeare, ce Songe d'une nuit d'été. Obéron, roi des ombres, Titania, reine des fées et Puck, ce feu follet quelque peu malicieux, ravissent les esprits à chacune de leurs apparitions. le personnel féérique employé, ces ingrédients de la recette de Shakespeare, recette tirée de ce livre magique - Fleur des Pois, Toile d'Araignée, Phalène et Graine de Moutarde - nourrissent le rêve de Bottom, lui inspirent une ballade (qui n'est autre peut-être que ce songe). La ronde des fées protège le sommeil de tous ceux qui ferment les yeux, à "l'heure des fées". Les chansons : lulla, lulla, lullaby, bercent, éloignent les cauchemars. Et le rêve vient, se glisse dans le sommeil. Et c'est alors que le suc de cette fleur dite " la vague d'amour", cette " musique de cette fille de la mer", est délicatement distillé dans les yeux de ceux qui s'éveilleront amoureux fous. -"Avec le jus de cette plante, je frotterai ses yeux et je la remplirai de détestables fantaisies."- Et les amours se font merveilleuses ou monstrueuses, comme dans les véritables tragédies.

Les amours chantés et décantés dans la pièce se voient contrariés par d'autres, s'entrecroisent et se complexifient par l'intervention du charme des fées qui peuvent aussi bien accorder les fibres de l'amour que les désorganiser de manière déraisonnable. L'amour se détraque comme la nature. L'amour est aveugle, rend fou, rend cruel. Démétrius n'éprouve que du mépris pour Hélène qui lui propose de le suivre comme un chien ou comme une biche qui traque un tigre. le monde ne tourne plus rond, la nature et l'amour se détraquent, oui. Hélène est folle d'aimer celui qui la fait souffrir tout comme Démétrius est fou d'aimer celle qui en aime un autre. Hermia et Lysandre, eux, projettent de s'enfuir hors d'Athènes mais les autres les pourchassent, ils se pourchassent. Tout ceci s'envenime jusqu'au final et on a quelques répliques aux accents cruels dont celle d'Hermia s'éveillant d'un rêve : "Au secours, Lysandre, au secours! Fais ton possible pour arracher ce serpent qui rampe sur mon sein. Ah! miséricorde! quel rêve j'ai fait là Lysandre, regardez comme je tremble de crainte! Il me semblait qu'un serpent me mangeait le coeur et que vous restiez tranquillement assis, souriant durant son cruel repas."

Les fées seraient-elles passées par là ou passeront-elles plus tard ?

Le cercle des fées, ce berceau où dort Titania, sert de théâtre à la troupe des artisans qui répètent Pyrame et Thisbé, la pièce qu'ils joueront devant Thésée et Hippolyte. Il est comique d'assister aux diverses répétitions et à la représentation finale de la troupe. le fourré d'aubépines sert de loge aux artistes (et on s'imagine qu'il y a de quoi se piquer !) Shakespeare, lui, est particulièrement piquant dans cette mise en abyme. Bottom veut jouer tous les rôles (et je m'imagine une représentation de la pièce jouée par un seul personnage – un seul acteur, c'est de l'avant-garde en fait). Bottom propose aussi de faire fi de l'illusion théâtrale (dans cette pièce qui ne l'oublions pas, est un songe). Chaque acteur devra proclamer son nom (et révéler qu'il n'est pas son personnage). Toute une réfléxion sur l'artifice au théâtre. Et ce mur, et ce clair de lune, ces décors, joués par des personnages ! Mais on pourrait aussi, propose-t-il, ouvrir la fenêtre, et faire que la Lune joue son rôle. Et ce lion qui parle ! C'est une belle fable, une "suave comédie", une farce, proposée par ce fou non moins sage de Bottom, le tisserand. Bottom, c'est l'Âne d'or de la pièce de Shakespeare, qui me fait tout autant rêver que les fées. Titania, elle-même éblouie par le personnage, ne dit-elle pas : "Tu es aussi sage que tu es beau" ? Oui, oui, laissez-moi déclarer mon amour à Bottom, parce qu'il réinvente le théâtre : "Oh! comme je t'aime ! Oh ! comme je suis folle de toi !". D'ailleurs, la pièce est tellement vivante, avec toutes ces maladresses, ces erreurs, ces verbes qui s'emmêlent, et ces amants qui s'embrassent non à travers un mur mais à travers les mains d'un acteur qui représente un mur et sa faille avec la position des mains ... Et cette réplique : "Il trouve assassiné le manteau de sa fidèle Thisbé" ! Et les spectacteurs commentent, se moquent, rebondissent et magnifique, les acteurs leur répondent ! C'est toute la magie du théâtre. Alala qu'elle est vivante cette pièce, peut-être ridicule, censée être l'une des pires pièces jamais représentées sur scène, mais c'est pourtant l'une des meilleures ...

Une version du texte, en français, une version illustrée par Arthur Rackham, est à découvrir sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567030c/f1.image
Les illustrations sont merveilleuses et m'ont laissée songeuse le temps d'une nuit d'été à venir.
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