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Critique de JustAWord


Les jeunes éditions Argyll continuent à remettre sur le devant de la scène des auteurs et autrices qui mériteraient certainement une meilleure visibilité auprès des lecteurs français actuels.
Après La Monture de Carol Emshwiller et avant la réédition de l'indispensable Un Étranger en Olondre de Sofia Samatar, voici celle d'un géant de l'imaginaire en la personne de l'américain Robert Sheckley.
Particulièrement prolifique et plusieurs fois adapté au cinéma et à la télévision, Robert Sheckley n'est pourtant plus très présent dans les rayons d'imaginaire français…et pour cause puisque la dernière publication d'une de ses oeuvres dans la langue de Molière date de 1997 !
Avec le Temps des Retrouvailles, recueil de treize nouvelles dont les traductions ont été revues par Lionel Évrard pour l'occasion, voici une occasion en or (et dans un superbe écrin signé Xavier Collette) de redécouvrir ce géant de la science-fiction dans l'un de ses domaines de prédilection : la nouvelle !

Sélectionnées sur une période allant de 1952 à 1960, soit à la fin de l'âge d'or de la science-fiction, les nouvelles du présent recueil surprennent à la fois par la modernité des thèmes abordés mais également pas l'habilité de Robert Sheckley pour manier l'absurde et en faire un outil imparable capable à la fois de questionner son époque et l'homme en général.
Majoritairement, les treize textes réunis dans le Temps des Retrouvailles s'intéressent à la communication et au sens que l'on donne aux mots comme aux coutumes. Sheckley semble fasciné par la capacité des peuples à se méprendre sur les intentions de l'autre mais aussi sur les minces éléments, de langage, de culture ou de physiologie qui peuvent mener à des quiproquos pour le moins embarrassant. Dans Une race de guerrier, la guerre prend un sens totalement inattendu et désarme les humains face aux Cascelliens tandis que dans N'y touchez pas ! les différences physiques fondamentales entre l'équipage humain et Kalen transforment un simple vol de vaisseau en opération à haut risque. Il en sera de même pour Un Billet pour Tranaï où c'est le sens et la perception de ce qu'est l'Utopie pour les uns et pour les autres qui fait capoter le rêve glorieux de Marvin Goodman.
Avec un humour et une inventivité débridée, l'américain s'amuse de l'incompréhension mais tente toujours de montrer que ces différences ont aussi des raisons d'être, aussi étranges soient-elles.

Pour Sheckley, outre les problèmes de communication qu'il révèle, le premier contact constitue une étape majeure mais hautement problématique pour l'espèce humaine. de ces confrontations parfois hostiles vont naître des nouvelles comme La Mission du Quedak, Tels que nous sommes ou La Suprême Récompense. Cette fois, c'est aussi le symbole et la conception même de l'individualité qui titillent l'imagination de l'américain.
Dans La Mission du Quedak comme dans Les Spécialisés, c'est l'opposition entre l'individu et le collectif qui s'oppose et entre en conflit. Alors que la Guerre Froide impose une vision binaire de la société de l'époque, Sheckley parcourt l'espace en quête de sens. Il ira même jusqu'à utiliser la pensée Freudienne pour scinder l'être humain et s'interroger sur notre propre unité dans le Temps des Retrouvailles.
Robert Sheckley n'est cependant jamais aussi efficace que lorsqu'il mêle ses questionnements à une absurdité évidente qui détricote les manières humaines et exhume ses vices. le Prix du Danger et La Septième Victime en sont des exemples évidents, l'exploration spatiale laissant place ici à des sociétés dystopiques où la violence est détournée à des fins utilitaristes.
Que ce soit pour divertir ou pour subvertir, le meurtre s'affirme comme une composante sinistre de l'humanité avec laquelle il faut s'arranger.
Mais cette violence est-elle inévitable ? Doit-elle se concevoir comme une fin et non comme un écueil ? Sheckley utilise le prisme temporel dans les Morts de Ben Baxter pour savoir ce qui peut faire dévier l'humanité et les ravages qu'elle commet avant d'imaginer dans Permis de Maraude un village utopique qui ne connaît ni la guerre, ni le crime ni la religion, comme si l'ignorance était une solution. À moins qu'il ne faille carrément déconstruire notre perception du réel comme cela arrive à Anders dans Tu brûles !
Ce qui est certain, c'est que la science-fiction de Robert Sheckley sait encore se ménager un optimisme qui fait cruellement défaut à notre époque.
Derrière les mésententes du premier contact se cache l'exploration téméraire de la galaxie à bord de vaisseaux spatiaux ultra-rapides, derrière son analyse de la dystopie et de l'utopie se terre une sincère interrogation sur ce que l'humanité peut encore accomplir et derrière les facéties du destin, l'humour de Robert Sheckley nous enjoint à ne pas trop prendre au sérieux les quiproquos de l'univers pour nous concentrer sur les merveilles qui le peuple et les perspectives que son exploration nous offre.

Passionnantes, étonnantes et délicieusement décalées, les nouvelles qui composent le Temps des Retrouvailles sont autant de trésors issus de l'imagination fertile et absurde de Robert Sheckley. Il serait dommage de vous en priver, surtout dans une édition aussi soignée !

(Retrouvez sur le site la critique nouvelle par nouvelle pour les plus curieux)
Lien : https://justaword.fr/le-temp..
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