Extrait de la conférence "Dialogue entre les morts : Robert Sheckley et Fredric Brown" aux Utopiales 2017 avec J._A.Debats, S.Lainé et X.Mauméjean.
Plusieurs milliers d'hommes et de machines étaient déjà sur la planète et au commandement de Morrison, ils se disperseraient, supprimeraient les montagnes, raboteraient des plaines, déplaceraient des forêts entières, modifieraient le cours des rivières, feraient fondre les calottes glacières, façonneraient des continents, creuseraient des mers nouvelles, bref, accompliraient tout ce qu'il faudrait pour que le Plan de Travail 35 devienne un centre d'accueil favorable à la civilisation technologique unique et exigeante de l'Homo sapiens.
J’ai dit à Stack, poursuivit Haaris, qu’il devait apprendre à ses hommes à lui obéir en tout. Nous utilisons principalement des indigènes de la tribu des Chipetzis (…)
Au début, il était très bien. Il n’hésitait pas à utiliser son fouet, et il atteignait son quota. Mais il n’avait aucun sens de la modération. Il a commencé à tuer des indigènes, et ça revient cher de les remplacer (...)
Je lui ai parlé franchement et je lui ai dit qu’il fallait faire travailler les Aïs, pas les abattre. Nous prévoyons un certain pourcentage de pertes, naturellement, mais Stack poussait les choses trop loin, ce qui faisait dangereusement baisser nos bénéfices...
(Le temps des retrouvailles)
— Écoute, espèce de pachyderme, d'après ce que nous savons, les Cascelliens peuvent penser que la meilleure façon d'accueillir des visiteurs consiste à leur trancher la tête pour la farcir avec des pommes vertes. Si le Guide Galactique dit que leur civilisation est unique, c'est qu'elle l'est.
— Il est également indiqué qu'ils sont amicaux.
— Ce qui veut sans doute dire qu'ils ne disposent pas de la bombe atomique.
("Une race de guerriers")
Ce qu'il y avait d'admirable dans ce système, c'est que les gens qui avaient envie de tuer pouvaient le faire et que ceux qui n'en avaient pas envie - soit la grosse majorité de la population - n'étaient pas tenus de devenir des meurtriers.
Au moins n'y avait-il plus de grandes guerres, ni même de menaces de conflits armés. Rien que de petites guerres - des centaines de milliers de petites guerres individuelles.
Ils l'avaient dupé, pensa-t-il. Tous ces braves gens normaux. N'avaient-ils pas affirmé qu'il était leur représentant ? N'avaient-ils pas jurer de le protéger ? Mais non, ils le haïssaient. Pourquoi ne s'en était-il pas rendu compte ? Leur héros, c'était le tueur cynique au regard froid : Thompson, Al Capone, Billy the Kid, le jeune Lochinvar, El Cid, Cuchulainn... l'homme sans craintes et sans espoirs. Ils le vénéraient, cet implacable robot meurtrier, et aspiraient à recevoir son coup de pied en pleine face.
("Le prix du danger")
Mon boulot ne consiste pas à admirer le paysage. J'en ai horreur, des paysages ! Mon travail, c'est d'adapter cet endroit aux besoins particuliers des êtres humains.
— Essayez de me comprendre, dit calmement Needler. L’homme a toujours tenté de détruire ce qu’il ne comprend pas. Les paysans français ont voulu percer à coups de fourche une montgolfière qui s’était posée dans leurs champs. Les indiens d’Amérique centrale se sont enfuis, terrorisés, devant les chevaux des conquistadors. Et vous, vous voulez casser à coups de masse une machine à calculer.
« La foule »
Anders croyait aux voix autant que tout un chacun : c'est-à-dire qu'il n'y croyait pas du tout – jusqu'à les avoir entendues.
("Tu brûles !")
Sur Oméga, la loi est suprême. Cachée ou révélée, sacrée ou profane, elle gouverne les actions de tous les citoyens sans exception, du bas vers le sommet de l'échelle sociale. Sans la loi, il n'y aurait pas de privilèges pour ceux qui font la loi ; celle-ci est donc une nécessité absolue. Sans la loi et son application rigoureuse, Oméga serait un inimaginable chaos où les droits d'un homme cesseraient dès qu'il ne pourrait plus les faire respecter. Cette anarchie serait la fin de toute société - et, surtout, elle serait la fin des anciens de la classe gouvernante, parvenus aux plus hauts honneurs, mais dont l'habileté dans le maniement des armes a depuis longtemps décliné.
La loi est donc indispensable.
Peu d'individus, quelle que soit la race à laquelle ils appartiennent, tuent pour le plaisir. Il existe cependant des raisons de donner la mort parfaitement valides et aptes à satisfaire n'importe quel philosophe. Seulement, une fois qu'on les a acceptées, on en découvre sans cesse de nouvelles. Dès qu'il est admis, le meurtre se fait difficile à contenir. Ce qui me et inéluctablement à la guerre et, de là, à l'annihilation.