Citations sur Le poids des secrets, tome 5 : Hotaru (49)
Je continuais à coudre pour gagner de l'argent. En fin de semaine, quelqu'un de l'usine venait chez moi chercher les vêtements que j'avais terminés. Un jour, j'ai reçu la visite de Madame Shimamura, que je n'avais pas vu depuis longtemps. Elle n'habitait plus dans le même village que moi. A ma surprise, elle travaillait aussi pour cette usine. Je l'ai invitée à prendre le thé. Elle m'a appris la triste nouvelle à propos de son fils : il avait été capturé à Saïpan par les américains et il était mort là-bas. On ne connaissait pas la vraie cause de sa mort, a-t-elle dit, mais des gens blâmaient sa famille en disant qu'il aurait dû se suicider avant d'être capturé, que sa mort était une honte.
— Ojîchan, pourquoi les lucioles émettent-elles de la lumière ?
Il répond :
— Pour attirer des femelles.
Je suis étonnée :
— Alors, les lucioles sont-elles mâles ?
— Oui. Les femelles sont des vers luisants. Elles émettent aussi de la lumière, mais elles ne volent pas. Les deux s’échangent des messages amoureux en clignotant.
Je m’exclame :
— Comme c’est romantique !
— Oui, dit Ojîchan. Au moins pour nous, les Japonais.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— En France, il existe une superstition étrange : ces lumières seraient les âmes des enfants morts sans avoir reçu le baptême. Pour les gens qui y croient, ces insectes sont bien sinistres.
Le mot « sinistre » me fait penser à la scène du soir de la bombe atomique qu’Obâchan m’a racontée une fois : « J’ai vu une volée de lucioles au-dessus du ruisseau, qui était écrasé par les ruines des bâtiments. Les lumières de ces insectes flottaient dans le noir comme si les âmes des victimes n’avaient pas su où aller. » Je me demande où ira l’âme d’Obâchan. Va-t-elle errer pour toujours entre ce monde et l’autre monde ? Ses jours sont comptés. J’espère qu’elle trouvera le calme et pourra mourir en paix, comme Ojîchan.
Et tout à coup on a entendu le mari crier : «Venez ici tout le monde !» La femme s'est levée :
- Qu'est-ce qu'il y a, mon chéri ?
Il a crié de nouveau :
- Venez ici, tout le monde !
Nous sommes descendues dans le jardin. Il nous indiquait le nord. Nous avons aperçu aussitôt un nuage blanc très dense au-dessus de la vallée d'Uragami. C'était comme une énorme masse de coton. «Mon Dieu ! Quelle horreur !» Nous avons tous pâli. Le nuage s'agrandissait de plus en plus et il devenait un immense champignon. Le mari a murmuré :
- Ça doit être une bombe pareille à celle qui est tombée sur Hiroshima il y a trois jours.
Ainsi, notre liaison a recommencé après dix ans d'interruption.
Bien sûr, j'avais mauvaise conscience en pensant à mon mari, qui était sincère avec moi et qui devait demeurer dans un endroit si éloigné pour rendre service à l'armée. Je savais que je regretterais ce que je faisais dans son dos. Pourtant, j'avais succombé au désir de monsieur Horibe, qui connaissait mon corps mieux que personne. En voyant ses larmes, j'ai cru qu'il m'aimait toujours. Je me suis convaincu que ce serait vraiment la dernière fois entre nous.
— Ojîchan (grand-père), pourquoi les lucioles émettent-elles de la lumière ?
Il répond :
— Pour attirer des femelles.
Je suis étonnée :
— Alors, les lucioles sont-elles mâles ?
— Oui. Les femelles sont des vers luisants. Elles émettent aussi de la lumière, mais elles ne volent pas. Les deux s’échangent des messages amoureux en clignotant.
Je m’exclame :
— Comme c’est romantique !
— Oui, dit Ojîchan. Au moins pour nous, les Japonais.
— En France, il existe une superstition étrange : ces lumières seraient les âmes des enfants morts sans avoir reçu le baptême. Pour les gens qui y croient, ces insectes sont bien sinistres.
Le mot « sinistre » me fait penser à la scène du soir de la bombe atomique qu’Obâchan (grand-mère), m’a racontée une fois : « J’ai vu une volée de lucioles au-dessus du ruisseau, qui était écrasé par les ruines des bâtiments. Les lumières de ces insectes flottaient dans le noir comme si les âmes des victimes n’avaient pas su où aller. » Je me demande où ira l’âme d’Obâchan. Va-t-elle errer pour toujours entre ce monde et l’autre monde ? Ses jours sont comptés. J’espère qu’elle trouvera le calme et pourra mourir en paix, comme Ojîchan.
Elle et mon père ont été victimes de la bombe atomique qui est tombée sur Nagasaki. Ils ont échappé à la mort par miracle. Ces jours-ci, j'entends Obâchan murmurer : "Voici venir la cinquantième année depuis lors. Je n'avais jamais espéré vivre si longtemps..." (p. 10)
Il y a des choses qu'on ne peut pas dire aux autres. (p. 125)
C’était le lundi 6. Le soir, Yukio s’est écrié en arrivant : "Maman ! C’est horrible ! Hiroshima a été attaquée ce matin par une bombe très puissante, comme personne n’en a jamais vu avant. Toute la ville s’est enflammée et presque tout le monde a péri en même temps !"
Nous étions au mois d'avril.
Les Américains avaient débarqué sur l'île d'Okinawa. Les troupes de la garde japonaise avaient fait gyokusaï*. À Nagasaki, l'alerte s'est mise à retentir. Des chasseurs ennemis faisaient des tours au-dessus de la ville. Et un jour, un dock de chantier a été attaqué. En revenant de l'usine, Yukio m'a appris une terrible rumeur : «Du cyanure de potassium circule dans la ville. C'est pour se suicider avant d'être capturé par les Américains.»
[NB : gyokusaï = mourir vaillamment, combattre jusqu'à la mort.]
Il y a des choses qu'on ne peut dire aux autres...