Et moi je restai là, étendue dans mon abandon ainsi qu’en un cercueil, enveloppée de la noirceur pour seuls draps, nue et morte de l’intérieur.
- As-tu seulement déjà touché ton cœur, Emilie ?
La réalité me frappa alors comme l’éclair : où aller, maintenant ? J’avais, jusqu’à ce moment, été guidée d’une mort à une autre, mais s’il n’y avait plus une âme à assombrir, qui m’aurait indiqué le chemin ?
Sotte que j’étais, il en restait bien une !
La mienne.
J’avais, depuis aussi longtemps que l’attestait ma fragile mémoire, témoigné d’un plus grand respect pour les animaux que pour les êtres humains ; ces premiers n’étaient motivés, d’après ce que j’en savais, du moins, que par l’instinct de survie. Même les plus carnassiers des fauves avaient un immense respect de la vie ; leur cruauté n’était pas cruelle ni violente leur violence. Les hommes, depuis toujours et à jamais, étaient quant à eux encrassés par la concupiscence et la haine, legs empoisonné d’une conscience profonde et vulnérable.
Le soleil se mirait dans les flots clairs qu'il recouvrait d'un rideau de diamants. La nature était un véritable trésor.
Je ne réfléchissais plus. Ma conscience s’effritait tel le rocher sans relâche agressé par les vagues impitoyables. Tout ce que je me contentais de faire était d’aligner un pas après l’autre. Si la vie refusait que je m’éloignasse d’elle, c’était qu’elle avait encore à m’offrir. Il me fallait maintenant trouver quoi ?
Ma paume enserre enfin l’organe fixe et froid. Telle une mère berce éplorée son mort-né. Hypocrite miroir, ce monstre, c’était moi !
Je ne pouvais chaque fois m'empêcher de croire que ces politesses étaient forcées ; comment pouvait-on faire preuve d'autant de douceur et d'affabilité face à une femme telle que moi ? J'avais beau être jeune, me savoir belle encore, ne serait-ce qu'en raison des compliments que je m'attirais naguère, il me semblait si naturel de me mépriser au vu de ma situation. Mon visage gardait les traces d'un épuisement et de détresses perpétuelles ; ma chevelure rêche, qu'on me coupait périodiquement avec la froideur d'un embaumeur, tombait piteusement jusqu'à la hauteur de mes oreilles nues ; et mon corps était maigre de tous ces repas que je ne parvenais qu'à avaler au tiers. Il aurait pu me demander sur-le-champ de me dénuder devant lui, de m'agenouiller sous ses yeux malicieux, et je n'aurais eu d'autre choix que d'obéir. Une femme que l'on respecte en est une que l'on désire, et le désir n'existe pas lorsque persiste la contrainte d'obéir.
Boire attendrait ; me nourrir attendrait : il me fallait survivre.
Tout ceci n'était qu'un labyrinthe dont on connaît le chemin, mais qu'on ne peut franchir sans y laisser son âme.