Les douleurs nous définissent bien plus que les joies ; nous sommes le résultat de nos échecs, de nos peines et de nos blessures.
Les rideaux brusquement écartés me font tout à coup reculer. Levant la tête, j'aperçois à travers la vitre sale un vieil homme coiffé d'un haut-de-forme d'une autre époque. Il me dévisage, un œil exorbité, l'autre presque clos ; ses lèvres sont crispées en un rictus effrayant. Je ne peux retenir ma gorgé d'être nouée par l'horreur que m'inspire ce visage : des cicatrices innombrables hachurent la peau livide. Ces marques de lacérations, méthodiques, alignées en accord avec les courbes de son visage, sont la preuve qu'elles ne sont sûrement pas le résultat d'un horrible accident.
Le futur souffre du temps qui passe, comme d'une entaille qui se gâte, comme d'une affection incurable. On croit pouvoir panser la blessure que le temps nous inflige et creuse un peu plus chaque jour avec des petits instants de bonheur... mais on ne fait qu'agrandir le trou que les années creusent, on ne fait qu'accroître la latente douleur qui viendra. Il n'y a pas de remède au temps. Le futur est insatiable.
Le froid, le vrai froid, on n'y échappe pas. C'est celui qui vous ronge petit à petit, comme un insecte caché sous vos ongles, dans vos os, qui vous dévore ; c'est une douleur insidieuse qui croît telle la gangrène.
Sois demain, je serai hier, et ensemble nous serons l'éternité.
Les gens vont sûrement te dire que le temps guérit tout. Qu'il te suffit d'attendre pour mieux aller, pour oublier. Laisse-moi te dire une chose : le temps ne guérit rien.
Le seul malheur qui importe à chacun, c'est le sien.
Les souffrances des autres n'ont de valeur que si elles risquent de nous atteindre.
- Tu me demande ça comme si j'étais en prison?
Les lèvres de Rej s'étirent en un sourire satisfait.
- La prison, réfute-t-il posément, c'est pas juste des barreaux et des chaînes.
Mes cauchemars, mon terrible passé ont fusionné avec l'avenir.
Et je rêve, coincée dans mes souvenirs les plus vils.
Entourée de mes tourments, des affres du monde.
Du mien.
Je suis ici prisonnière.
A tout jamais.
La mort n'est qu'une eau stagnante et putride, que ce puits infect où notre âme, à genoux, s'abreuve sans relâche en y contemplant son reflet.
Et le passé, cette ultime pensée qui s'étire et nous encercle comme les barreaux d'une cellule fangeuse...
Le passé est notre dernière prison.