Le voyageur qui effectue en bateau le trajet entre Dakar et Ziguinchor a toutes les chances d'embarquer sur l'Aline Sitoé Diatta, patronyme d'une héroïne et martyr casamançaise. C 'est le destin de cette femme née en 1920 et morte en 1944 dans les geôles des colonisateurs français que retrace
Karine Silla qui s'appuie sur les références historiques et les recherches sociologiques de son père universitaire Ousmane Diallo. Aline est une enfant curieuse, à l'écoute des histoires et légendes des peuples d'Afrique que lui conte son vieil ami Diamacoune, tirailleur de la première guerre mondiale, qui lui apprend aussi le français. Une adolescente et femme courageuse, déterminée, qui quitte son village de Cabrousse pour travailler d'abord comme docker à Ziguinchor, puis comme aide-ménagère chez une famille française à la Médina, quartier dakarois. Lorsque la 2ème guerre mondiale s'attaque à Dakar dans un bombadement qui oppose
De Gaulle à Brisson, gouverneur vichiste de la capitale sénégalaise, Aline retourne en Casamance, obéissant aux voix qui lui intiment de sauver son peuple. Pendant deux ans, elle sillonne le sud du Sénégal, appelant les Diolas à la résistance contre le colonisateur, les sommant de ne pas payer l'impôt qui les aliène, et de refuser d'envoyer les hommes dans une guerre qui ne les concerne pas.
La présence même pacifiste d'une telle "agitatrice" ne saurait être tolérée par les colons. Aline se rend pour éviter que d'autres souffrent de la répression violente que met en place le commandement français.
Maltraitée, torturée, affamée, dans les prisons françaises au Mali et en Gambie, Aline meurt à l'âge de 24 ans.
Karine Silla choisit d'entrecouper le récit de vie d'Aline Sitoé Diatta, par la destinée de Martin, Français qui s'installe au Sénégal, et qui y fera venir sa femme. Ils seront les employeurs d'Aline qui aura la charge de s'occuper de leurs enfants.
Si c'est avant tout Aline la protagoniste de ce roman, il n'est pas inintéressant de partager le devenir d'un couple de colons, leur état d'esprit, attitude. Mais comme déjà indiqué, l'héroïne est Aline Sitoé Diatta, et c'est avec finesse que l'autrice nous fait partager ce parcours de vie hors du commun, d'une prophétesse, résistante, qui redonnera confiance aux Diolas, leurs rappelant qu'ils sont des hommes et femmes libres, dont les croyances et traditions ne peuvent être piétinées par un pouvoir qui ne les respecte pas.
Une dernière petite observation quant au choix de la photo de couverture. C'est une belle photo, vue en contreplongée d'une femme, qui la pipe à la bouche semble au-dessus de la mêlée, calme, en attente, observatrice. C'est une photo prise en 1910 d'une femme wolof, il ne s'agit donc pas d'Aline Sitoé Diatta.