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°°° rentrée littéraire 2020 # 33 °°° D'abord, il y a cette photographie incroyable qui explose de la couverture : une jeune femme noire, torse nu, port de tête insolent, pipe à la bouche, gri-gri autour du bras, si féminine, presque féministe avant l'heure. C'est celle d'Aline Sitoé Diatta. Quasi inconnue en France et Europe, une icône de la résistance à la colonisation au Sénégal dans les pas non-violents d'un Gandhi. Dès les premières pages, on sent l'investissement de l'auteure à faire voler en éclat cette invisibilisation d'une figure majeure de l'histoire sénégalaise, on sent sa volonté à faire connaître le combat de cette jeune femme, née en 1920, un combat qui résonne aujourd'hui. Ce devoir de mémoire, elle le revendique aussi comme un hommage à son père, docteur en sociologie et diplomate à l'ONU, appartenant à l'ethnie diola de Casamance, comme Aline. L'écriture de Karine Silla est immédiatement passionnée pour raconter le parcours d'Aline dont le destin relève d'un romanesque fabuleux à décrire pour un écrivain : orpheline, docker à peine adolescente sur les quais de Ziguinchor, bonne dans une famille de colons français, entendant des voix comme Jeanne d'Arc l'enjoignant à mener la lutte contre le colonialisme, sacrée reine diola à 19 ans avant de mourir à 25 dans dans les geôles françaises. Les plus beaux passages du livre sont ceux qui la font parler à la 1ère personne, en empathie totale avec la magnétique Aline. Ils sont d'une poésie et d'un lyrisme rare et qui font aimer cette guerrière pacifique à l'énergie peu commune qui entraina avec elle tout un peuple et fit trembler l'ordre établi. Tout cela pourrait aisément basculer l'hagiographie, ça le fait sans doute parfois mais Karine Silla a l'intelligence d'ensorceler son récit en le transformant en légende universelle, à l'image du titre qui sonne comme un récit mythique. Surtout, elle ne verse jamais dans le manichéisme primaire, donnant largement la parole aux colons pour questionner le colonialisme dans une palette très large : Jean, l'intellectuel anticolonialiste ; Martin, arrivé au Sénégal dans l'idée de civiliser des sauvages et qui, tombé amoureux du pays, voit sa conception de la colonisation évoluer ; l'épouse de Jean pleine de peur et de préjugés ; le gouverneur Buisson brutal et obtus. Et le cadre historique achève de rendre passionnant ce roman. Car la lutte d'Aline se déroule en 1943, en pleine Deuxième guerre mondiale : les colonies deviennent un enjeu entre le gouvernement de Vichy et la France libre du général De Gaulle qui tenta de prendre Dakar, sans que l'enrôlement forcé des jeunes Sénégalais ne cesse avec des promesses d'émancipation qui ne seront pas tenues. Très inspiré et inspirant. + Lire la suite |