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Critique de Woland


Woland
21 septembre 2014
ISBN : 978-2258073401

L'intrigue de ce "Pendu de Saint-Pholien" n'aurait pu prospérer sans la décision impulsive du commissaire Maigret d'échanger la valise d'un passager qu'il suspecte d'escroquerie, voire de nihilisme (ou de ce qui y ressemble le plus dans les années trente) contre une autre, tout à fait semblable, mais bourrée de vieux journaux. Poussé par son instinct, le commissaire suit sa proie éventuelle à Brême, descend dans le même petit hôtel et là, avant d'avoir eu le temps d'intervenir, il voit l'homme, qui vient tout juste de découvrir les vieux journaux dans la valise, sortir un revolver de sa poche et se tirer carrément une balle dans la bouche. Mort immédiate, cela va sans dire.

Pour le coup, le commissaire est secoué. le titre du premier chapitre est d'ailleurs suffisamment éloquent puisqu'il nous annonce "Le Crime de Maigret." Mais soyons honnêtes : comment Maigret aurait-il pu se douter - et le lecteur avec lui - que la découverte de vieux journaux en lieu et place d'un banal costume bien usé et qui n'était même pas à sa taille amènerait l'inconnu de Brême à se suicider de manière aussi abrupte ? En vain le commissaire retourne-t-il en tous sens le costume en question : vieux, usagé, troué même, avec de nombreuses taches qui laissent supposer que le tissu a été en contact avec du sang. Pas de quoi fouetter un chat. Ou alors, où est le chat ?

Maigret découvre tout de même que l'homme voyageait avec un faux passeport au nom de Louis Jeunet. Mais c'est bien là, avec le fameux costume et la valise - l'une de ces valises qu'on achète dans n'importe quel magasin moyen - la seule chose dont il puisse tirer parti dans l'enquête qui s'annonce. Heureusement, têtu, patient et bien décidé à comprendre parce qu'il sait, qu'il sent, qu'il y a quelque chose à comprendre, il a la bonne idée de guetter à la Morgue de Brême pour voir si, par hasard, quelqu'un ne se présentera pas pour identifier le défunt. Et bingo ! Se présente un certain Joseph van Damme. Oh ! il prétend bien n'avoir aucune idée de qui est le mort mais comme il avait lu, dans les journaux, qu'un Français s'était suicidé et que lui-même était d'origine française, n'est-ce pas ? ...

"Le Pendu de Saint-Pholien" est vraiment le roman du Hasard - ou du Destin, comme vous voudrez. On ne peut nier que le Destin apparaisse dans toutes les aventures de Maigret mais dans celui-ci, on peut dire, sans exagération aucune, qu'il règne en maître. En effet, le livre repose dans son intégralité sur une succession de "si" et une véritable avalanche de grains de sable qui, implacables, détraquent la mécanique somme toute classique d'une pseudo-"conjuration" comme on en forme quand on est jeune et étudiant, au point de la transformer en un lancinant cauchemar pour tous ceux qui y participèrent.

Ainsi, si X ... n'avait pas été si riche, si arrogant et si Y ... n'en avait pas pris un tel ombrage ... Si Y ... avait pu étouffer sa culpabilité ... Si Z ... à son tour avait pu oublier ... Si Maigret de son côté n'avait pas interverti la valise ... Si ... Si ... Si ... Telle une gigantesque chauve-souris ankylosée mais toujours battante, tout un drame défripe ici ses ailes poussiéreuses et prend son envol d'abord paresseux, puis vif et de plus en plus décidé à travers les brumes des rues nocturnes, à Liège et à Paris. Un battement d'ailes et Maigret risque bien d'être mis hors service par un coup de feu tiré par on ne sait qui. Un autre battement et les "conjurés" de jadis se regroupent tous devant le commissaire, sur les lieux mêmes du meurtre sans lequel il n'y aurait jamais eu de "Pendu de Saint-Pholien", et craquent un à un.

Reste à Maigret à prendre la décision finale car, à un mois près, il y avait prescription.

Vous qui connaissez l'humanité bougonne mais bien réelle de Maigret et de son créateur, avez-vous deviné quelle sera cette décision ? Si vous doutez encore, lisez "Le Pendu de Saint-Pholien", roman qui commence par une espèce de farce tout à fait anodine et qui révèle au fil des pages que le Destin, lui, n'arrête pas de nous faire, à tous, des farces bien plus discutables et bien plus terribles dans leurs conséquences que l'interversion de deux valises jumelles dans un hall de gare.;o)
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