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Critique de karmax211


Un des 117 "romans durs" du prolifique Georges Simenon.
Comme dans chacun d'entre eux, à la manière d'un Chabrol, d'un Buñuel, d'un Almodovar, l'auteur traque les dysfonctionnements de l'individu et d'une vie sociale et sociétale, surtout provinciale mais pas que, dont il excelle à mettre en lumière les moeurs, leurs travers : les apparences, l'hypocrisie, les mensonges, la "veaudorlâtrie", l'ambition, la lutte pour le pouvoir, l'égoïsme, l'individualisme exacerbé, la ou les lâchetés, la faiblesse, la peur, les pulsions "amoureuses" extra-matrimoniales etc, le tout sous la bienveillance protectrice et intéressée du goupillon jamais à court d'eau bénite, et de l'absolution des péchés confessés dès lors qu'ils n'ont rien à voir avec ce qui s'apparente de près ou de loin avec les vérités du "repentant".

De retour de Quimper où il a assisté à une réunion qu'on qualifierait aujourd'hui d'interprofessionnelle, Jean Guérec, riche patron pêcheur, commerçant aisé et estimé, notable de Concarneau, retourne de nuit, sous le crachin breton, chez lui, au volant de sa voiture neuve, muni d'un permis de conduire des plus récents, et d'une quasi non-expérience de la conduite. Il a peur.
Peur parce qu'il y a beaucoup de tournants, peur des phares d'en face qui l'aveuglent, peur lorsqu'il doit passer en code de se tromper et d'éteindre les siens et de se retrouver dans le noir, peur des descentes, peur lorsqu'il doit freiner d'intervertir les pédales et d'accélérer, peur du bus qui emprunte cette route dans l'autre sens et qui provoque un accident par semaine...
Peur parce qu'il est en retard.
Et s'il est en retard, c'est parce qu'il a dépensé cinquante francs pour passer un moment avec une de ces dames venues de Paris et qui donent leur vertu contre quelques billets...et que Cécile, une des deux soeurs, tient les comptes de la maison, et que non contente de les tenir elle en exige de son frère dont elle connaît les faiblesses... faiblesses qui naguère ont eu un coût et ont failli ébranler la quiétude et la réputation de la famille...
Alors Jean Guérec conduit habité par toutes ces peurs...
Vous l'aurez compris, d'entrée le lecteur sait que cet homme de quarante ans, qui vit avec deux de ses trois soeurs aînées... lui est le petit dernier de la famille..., Céline et Françoise, cet homme est un timoré chronique.
Lorsqu'il entre à Concarneau, peu maître de sa voiture, craintif et pas confiant en ses capacités de conducteur, il réagit de manière hébétée lorsqu'une petite silhouette surgit dans les phares de son auto.
Incapable du moindre réflexe, le choc est inévitable.
Il continue de rouler, non pas parce qu'il a envie de fuir mais parce que l'étroitesse de la venelle où vient d'avoir lieu l'accident ne permet pas à ses lacunes de "chauffard" de faire demi-tour et qu'il a peur de manoeuvrer...et parce qu'il n'a jamais été un homme de décision, un de ceux qui savent prendre leurs responsabilités.
Ça, c'est le domaine de prédilection, le domaine d'influence de ses soeurs...
Lorsqu'il finit par y parvenir, c'est-à-dire à faire faire demi-tour à son automobile, il réalise qu'il est trop tard pour descendre de voiture, assumer sa faute.
Il prend alors la fuite. Commence alors pour lui la vie hantée d'un délinquant qui vient peut-être de tuer un enfant.
Rongé par les remords et sous le joug "affectueux" de ses deux soeurs... les Demoiselles de Concarneau..., il va tenter maladroitement de "réparer" sous le regard réprobateur des soeurs, dont Cécile l'aînée exerce sur lui un ascendant dont il est incapable et peut-être peu désireux de se libérer.
Jean Guérec va pourtant chercher à s'émanciper.
Mais peut-on parvenir à s'affranchir d'une vie douillette, une vie que les "autres" ont toujours veillé à ce qu'elle vous évite les écueils, qu'elles ont fait en sorte que votre chemin soit toujours parsemé de roses et à l'abri de la moindre épine ?
Peut-on s'acheter une conduite d'adulte lorsqu'on a la maturité d'un adolescent pris en charge par les ailes protectrices de deux substituts maternels ?
Peut-on quitter le nid lorsqu'on vous a privé de vos ailes ?
Peut-on exiger que le monde s'adapte à l'idée qu'on se fait de lui ?
Telles sont quelques-unes des questions que va se poser Jean Guérec lorsqu'il va rencontrer la jeune Marie Papin, la mère du petit Joseph quil a renversé, et d'Edgard son jumeau.
Une mère ouvrière pauvre, un gamin un peu sauvage.
Deux mondes que tout oppose et que seul l'argent peut, vaille que vaille, faire cohabiter.
Mais les Demoiselles de Concarneau veillent...

Roman de moeurs, roman social, il y a chez Simenon des influences balzaciennes et zoliennes.
L'auteur a toujours un oeil scalpel très affûté pour disséquer l'âme de ses protagonistes et mettre à nu tous les mécanismes qui s'articulent autour d'eux et qui régissent le cours de leur existence et celui de la petite ville de province qui est à leur image... à moins que ce ne soit l'inverse.
Les personnages sont aussi vrais que nature.
L'histoire est contée avec un sens du narratif parfaitement maîtrisé.
Le style "simonien" est irréprochable et à chacun de ses romans, qu'ils appartiennent aux "durs" ou aux "Maigret", on est envoûté par l'atmosphère singulière que ce grand écrivain réussit à faire surgir de sa plume.
Deux heures d'excellente lecture.

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