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Critique de Woland


Encore un roman qui se passe sur un bateau, "Le Tonnerre de Dieu", qu'Emile Lannec, Breton pur-sang, lequel a épousé par amour une Normande tout aussi pure-sang, Mathilde Pitard, vient tout juste d'acquérir. Il a donné une partie de l'argent, son second, Moinard, l'autre moitié mais le problème, c'est que la Banque - mettons-lui une majuscule, faisons comme en ces temps d'UE toute puissante - a voulu malgré tout une garantie. Et la garantie, c'est la belle-mère Pitard qui l'a donnée.

La belle-mère Pitard est-elle mauvaise, méchante, perverse, hantée par l'argent et la sécurité matérielle ? A ce dernier trait, on peut répondre oui sans risquer de se tromper beaucoup mais enfin, sur ce plan, ne sommes-nous pas tous un peu comme elle ? C'est vrai que se retrouver sans rien, dans la vie, c'est plutôt dur. le problème, qui n'en est pas vraiment un car, en théorie et sur le plan légal, Mme Pitard n'a pas tort, c'est qu'elle considère maintenant avoir des droits sur le "Tonnerre de Dieu" dont, les lèvres redoutablement pincées, elle désapprouve d'ailleurs le nouveau nom. Alors, forcément, ça crée un froid, l'une de ces atmosphères lourdes et grinçantes entre une belle-mère qui a toujours préféré d'ailleurs son fils, bien marié, bien établi, à sa fille, cette sans-retenue qui a trouvé le moyen de tomber amoureuse d'un marin breton.

Qu'à cela ne tienne, Lannec ne s'en fait pas trop : le "Tonnerre de Dieu" part en campagne. Mais voilà que Mathilde, comme ça, les yeux pleins d'une soudaine suspicion, exige d'accompagner son mari. le moyen de dire non même si ce n'est pas l'usage et si, rappelons-le, la présence des femmes sur les navires est censée porter malheur aux yeux de marins trop superstitieux ? Alors, bien sûr, Lannec essaie de savoir pourquoi Mathilde veut à tous prix venir, cette fois-ci. Mais il faut pratiquement lui arracher les explications au forceps, et à grands coups de scènes de ménage ! Peu à peu cependant, il comprend que sa foutue belle-mère a raconté pis que pendre sur lui à son épouse et que Mathilde, qui l'aime, il le sait bien, le suspecte, entre autres, de la tromper. Mais de la tromper vraiment : pas seulement une femme d'escale, par ci, par là. Une vraie tromperie, avec une femme qui l'attend, toute frétillante, dans un port.

Pour Emile, tout ça, c'est de la boue d'égout - tout à fait la mère Pitard, soit-dit en passant. Mais il est pénible, voire imprudent, de prendre la mer en emmenant ainsi, détachée de la terre, un petit bout de la mesquinerie pitardienne ! Se greffent là-dessus les soucis du fret, du transport, une affaire inattendue de moteurs qu'on lui demande d'embarquer dans la Baltique, ce qu'il accepte car, dame, faut bien faire du profit ! Seulement, la coque du "Tonnerre de Dieu" est en bois : les machines, il va falloir les arrimer sacrément bien, surtout en cas de coup de tabac ...

Car, comme toujours en mer, depuis que le monde est monde, il va falloir compter avec la météo.

La météo, pour l'instant, elle est plutôt pitardienne, si vous voyez ce que je veux dire . Elle boude, elle vente, elle souffle, elle pleut, elle est maussade et même mauvaise. On dirait qu'elle aussi accuse Lannec qui, certes, n'est pas un ange, rien qu'un brave homme un peu dur (dans le métier, il le faut, de toutes façons ), assez buté (il faut savoir se cramponner, sous peine de passer par dessus bord), têtu comme une bourrique (un vrai Breton ), bon capitaine cependant (il finira même par inspirer une forme d'admiration à sa femme avant que celle-ci ne rende son âme à Neptune), décidé à ramener le bateau, l'équipage et la cargaison à bon port, vaille que vaille.

Un marin, un vrai, ce Lannec. Seulement, bien sûr, ce n'est ni l'heure, ni l'endroit pour venir lui faire des scènes de jalousie et lui suggérer des choses auxquelles il ne comprend rien et qui l'exaspèrent et dont il sait bien qu'elles viennent direct de la belle-mère honnie ... ce qui l'incite malheureusement à boire et à répondre lui-même à l'idiotie de l'injustice par celle de la violence.

C'est ainsi qu'avec un Breton bon garçon mais têtu, une Normande avisée mais jalouse et une Mère - ah ! les Mères, chez Simenon , parfois sublimes jusque dans le crime, le plus souvent mégères, mesquines, froides, repliées sur leur amour pour l'autre fils (comme la mère de l'auteur lui-même) ou pour l'autre enfant (comme Mme Pitard), celles-là aussi prêtes à tuer, mais à petit feu, à coups de petits mots bien tranchants, bien vénéneux, qui font leur chemin dans un coeur sensible et naïf, un coeur qui, parce qu'il est filial, lui, pense qu'une Mère, c'est TOUJOURS bon, gentil, exceptionnel, qu'une Mère, ça ne ment JAMAIS et ça ne vous veut TOUJOURS QUE DU BIEN, à vous, la chair de sa chair, le sang de son sang, qui, pendant neuf mois de plus que tout autre au monde, a vécu avec vous, sur vous, partageant avec vous - et rien qu'avec vous - ce mystère et cette chaleur bienfaisante, unique, qu'est la chaleur intra-utérine ...

... Georges Simenon nous offre l'un de ces romans les plus vrais, les plus tristes et les plus amers. Les plus ironiques peut-être aussi puisque c'est sur la Mer, à laquelle nous retournerons tous et dont, paraît-il, nous sommes nés, cette Mer qui est notre Suprême Génitrice, qu'il place toute son action.

Illusion, illusion, que l'Amour Maternel Naturel, mes chères petites, mes braves petits - mes tout petits . Surtout chez Simenon. Lisez, oh ! oui, lisez "Les Pitard" mais ne vous laissez pas prendre comme Mathilde, cette pauvre Mathilde qui a tant aimé sa mère et qui, sur la fin, comprend trop tard que la garantie pour le bateau, et même, qui sait, le mariage consenti avec Lannec le Breton, sans oublier tous ces ragots, distillés par la voisine qui tirait les cartes, c'était pour ...

Bah ! vous le saurez bien assez tôt. Au cimetière, où l'on enterrera Mathilde, tandis que Lannec, fuyant ces funérailles où triomphe sa belle-mère, la Mauvaise Mère, la Mère-Phallique dans toute sa gloire, s'en va chercher à tromper sa douleur dans le fond d'un ou deux verres, au bistrot ... ;o)

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