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Critique de Woland


Au 36, on l'appelle "le Client du Samedi" parce qu'il ne vient hanter la salle d'attente de Maigret et de ses inspecteurs que le jour voué à Saturne. Il a, pour particularité physique, un bec-de-lièvre et, pour particularités disons psychologiques, la patience des timides, l'espoir, morne mais résolu, de finir par être reçu par Maigret en personne et une propension paradoxale à s'esquiver systématiquement de son propre chef alors même que, les visiteurs se raréfiant, cet espoir se fait de plus en plus net. Parfois, comme dans "Cécile Est Morte" , il arrive au commissaire, allant et venant entre les bureaux, de faire le gros dos et de détourner la tête de cette silhouette qui l'attend comme le Messie. Pourquoi ? Lui-même ne saurait dire pourquoi ça l'agace autant sinon que ce type ressemble à un chien battu que personne n'aurait jamais battu.

Mais voilà qu'un soir, alors qu'il rentre chez lui pour une fois à l'heure - un chez-lui où l'attend une superbe quiche lorraine - Maigret se retrouve face à face, dans son salon, avec le Client du Samedi, toujours aussi humble, toujours aussi têtu et toujours aussi embarrassé. Mme Maigret, qui l'a fait entrer, avouera plus tard à son époux que, bien qu'il se soit montré très courtois, "il lui a fait peur". Maigret, lui, n'a pas peur mais comme son "client" commence dès le début à balbutier qu'il a peur de déranger, qu'il s'excuse, etc ..., son agacement s'accroît. Ayant perçu l'haleine un peu chargée de l'homme et espérant que l'alcool le fera enclencher la vitesse supérieure, il sort même son sacro-saint flacon de prunelle, celle qu'il ne déguste qu'avec ses amis, des personnes vraiment intéressantes ou alors tout seul, quand il se sent un peu patraque. Cette fois-ci, il est bien décidé à entendre de A à Z ce qui amène en sa propre demeure un personnage aussi bizarre : la prunelle devrait aider.

Malgré les efforts conjugués de la gaieté de la prunelle et de la patience de Maigret, ce n'est pourtant pas sans maintes circonlocutions et phrases d'auto-apitoiement que le Client du Samedi, qui s'appelle en fait Léonard Planchon et possède une petite entreprise de peintre en bâtiment, rue Tholozé, passe enfin aux aveux. Aveux aussi déroutants que le personnage puisque c'est dans l'intention d'annoncer à Maigret qu'il se trouve pour ainsi dire, lui, Planchon, dans l'obligation de tuer sa femme, Renée, et l'amant de celle-ci, un ancien ouvrier à lui, Roger Prou, que cela fait maintenant on ne sait plus combien de semaines qu'il tourne et vire à la Police Judiciaire. Cependant, précise Planchon avec une gravité qui, dans d'autres circonstances, eût paru presque comique, sa femme, il l'aime toujours. Seulement, là, il n'en peut plus. Depuis deux ou trois ans (je ne vous garantis pas la durée exacte, elle m'est un peu sortie de l'esprit ), Renée est la maîtresse de Prou et, depuis que le mari les a surpris ensemble dans le lit conjugal, eh ! bien, l'amant s'est tout simplement installé à demeure. Planchon est traité comme quantité quasi négligeable et, tous les soirs, pendant que sa femme et son amant regardent la télévision, lui fait les bars. Et que faire dans un bar, lorsque l'on subit un stress de ce genre et qu'on le subit jour après jour, en sachant que, à son retour, on ne pourra s'étendre que dans un lit de camp dressé dans le salon ? Boire, bien sûr. Ca réchauffe un peu et, faute de consoler vraiment, ça permet de supporter.

A Maigret, qui, en homme responsable, s'étonne et lui demande pourquoi, tout simplement, il ne laisse pas tout tomber en réclamant le divorce, Planchon argue de la fille qu'il a eue avec Renée, la petite Isabelle. L'idée de la laisser à sa femme et à son nouveau compagnon, l'idée surtout que celui-ci puisse se faire appeler "papa" par l'enfant, le révoltent. C'est ainsi que, peu à peu, cherchant dans sa tête une solution satisfaisante, il en a conclu que seul le double meurtre du couple adultère arrangerait au mieux la situation. Maigret lui fait alors remarquer que, s'il va en prison, sa fille se retrouvera seule. Mais Planchon d'affirmer qu'il ne laissera aucune trace et qu'on ne pourra pas l'accuser.

Maigret est perplexe, Maigret sent l'inquiétude monter en lui. Un peu de mépris aussi car Planchon, en bon ivrogne, a pleuré ici et là et que Maigret n'aime pas voir pleurer les hommes. Il ne comprend pas pourquoi ce type est venu lui raconter tout ça. Cherche-t-il une absolution ? Planchon ayant évoqué sa jeunesse catholique, il va jusqu'à lui poser la question. Veut-il que Maigret lui dise que, de fait, il n'a plus que cette solution-là ? Mais il sait bien que, pas plus qu'un prêtre à qui il aurait raconté son histoire, Maigret ne saurait approuver son plan et encore moins l'y encourager.

Néanmoins, Maigret ne serait pas Maigret s'il ne faisait promettre à Planchon, avant de le renvoyer dans la nuit, de l'appeler régulièrement une fois par jour. Et Planchon promet.

Le lundi suivant - il était chez les Maigret le samedi-soir et si vous tenez vraiment à savoir pourquoi la P. J. ne le voyait paraître que le samedi, eh ! bien, c'était parce qu'il ne pouvait se libérer que ce jour-là - Planchon téléphone vers les 18 h, d'un bar situé rue des Abbesses. Il n'a rien fait, sinon boire encore et les derniers mots qu'il adresse au commissaire, qui tente évidemment de l'avoir par la raison et de le détourner de son plan inepte, sont : "Je vous remercie." Mais un "Je vous remercie" que, avec le recul, le commissaire jugera teinté d'ironie amère.

Après ça, silence radio. Quand le commissaire se présente de lui-même chez les Planchon - après avoir tout de même demandé l'accord de ses supérieurs - il tombe sur "une belle femelle", comme la définit le petit Lapointe, la fameuse Renée, qui lui raconte oh ! très calmement et avec un parfait naturel, que son mari est rentré lundi-soir, très tard, qu'il a fait ses valises et qu'il est parti. Voilà. Comme ça. Ce qui était assez normal puisque Roger venait de lui racheter sa part dans l'entreprise pour la somme de trois millions - le roman date de 1962, la somme est importante. le portrait qu'elle fait de son mari est celui d'une lavette intégrale - mais il faut bien admettre que, pour la majorité des lecteurs, c'est bien sous ces couleurs-là que, dès sa première phrase, leur est apparu Planchon - qui buvait depuis déjà longtemps, laissait l'entreprise partir à vau-l'eau, ne valait plus rien au lit depuis des lustres, vivait en sauvage, etc, etc ... Mme Planchon ne cache rien de sa relation avec Roger Prou - un homme, lui, un vrai. Et quand Maigret convoque ledit Prou - "un beau mâle" - à la P. J., en qualité de simple témoin, l'histoire est la même, contée avec autant de naturel mais un peu plus d'arrogance car Prou est peut-être "un homme, un vrai" mais c'est aussi un homme vaniteux, au tempérament plutôt combatif. A tout prendre, si quelqu'un avait dû, chez les Planchon, concocter une idée d'assassinat, c'eût été plutôt son affaire à lui ...

Evidemment, l'habitué n'est pas sans penser aux "Scrupules de Maigret" , où, là encore, sévissait un ménage-à-trois infernal, celui de Xavier Marton, sa femme et sa belle-soeur (mais il n'y avait pas d'enfant au milieu, me semble-t-il). Et lorsqu'on en arrive à la fin du roman, lorsqu'on prend le temps de réfléchir, on se demande si, sous ses airs de lavette et d'ivrogne pleurnichard, Léonard Planchon n'était pas, dans le fond, plus machiavélique qu'il n'en avait l'air. Non, non, je n'ai pas dit qu'il était coupable ... Simplement que, si simple en apparence, si sincère, si émouvant (même si on le méprise toujours un peu, dans le fond, parce qu'il ne se conduit pas en homme, justement), si faible qu'il soit (ou veuille paraître), ce n'est pas en réalité lui le plus fort : prêt à tout, et jusqu'à l'extrême, pour détruire le couple des deux "fauves" (autre définition de Maigret) formé par Renée et Roger.

Un excellent "Maigret. Ne le ratez pas. Mieux : prévoyez-le sur la liste des livres à lire, tranquille, pendant les vacances. Ah ! Les vacances ! Ah ! le soleil ! ... C'est quoi, déjà ? ... Et c'est quand, surtout ? ... Et si l'on envoyait le commissaire Maigret à sa recherche, vous croyez qu'il nous le retrouverait, le soleil ? ;o)
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