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Critique de Woland


Woland
18 septembre 2014
Historiquement, si j'ai bien compris - car la genèse de Maigret n'est pas simple - "Pietr le Letton" constitue le premier roman où le commissaire au chapeau melon et à la pipe tient pour la première fois et jusqu'au bout le premier rôle. Sa silhouette s'est peu à peu précisée à l'imagination de son créateur qui l'a déjà fait se profiler dans un texte ou deux. Mais là, le commissaire vient carrément d'"apparaître" à l'écrivain alors que celui-ci écrivait sur le bateau avec lequel il remontait la Seine ou la Marne et, détail assez savoureux, le fameux poêle à bois que Maigret entretient avec tant d'amour dans son bureau du Quai des Orfèvres est un "cadeau" que lui fit son créateur, lequel souffrait alors, devant son texte et sa machine à écrire, du froid qui imprégnait l'air fluvial. On peut dire de cette "apparition" qu'elle est déjà en majesté : rien n'y manque - en tous cas, rien de ce qui fera Maigret qui se montre déjà bourru, bougon et redoutablement taciturne.

L'intrigue ? ... Un crime dans "L'Etoile du Nord", ce train bien connu qui commença à assurer le service entre Amsterdam et Paris, via Bruxelles, dans les années vingt avant de prendre sa retraite dans la dernière décennie du XXème siècle. Dès le début, Maigret sait qu'un escroc d'envergure internationale, surnommé "Pietr le Letton", est à bord de ce train, et a pour charge de surveiller ses faits et gestes. Mais, quand il arrive sur les lieux pour l'enquête, il découvre avec perplexité que la victime ressemble trait pour trait à l'escroc. Jusque dans le dessin des oreilles. Nous sommes dans les années vingt et les technologies policières, même si Bertillon leur a fait faire un indiscutable bond en avant, sont encore dans leur petite enfance en Europe.

Le problème, c'est que, quelques minutes plus tôt, un Pietr le Letton dans une forme parfaite (ou, en tous les cas, un homme qui lui ressemble là aussi trait pour trait), est descendu, vaguement dédaigneux et très élégant, de "L'Etoile du Nord" et s'est installé dans un grand hôtel de la capitale où il semble vouloir faire affaire avec un Américain. Lors d'un très bref chassé-croisé avec ce dernier, Maigret obtient d'ailleurs la confirmation que l'Américain connaît parfaitement le personnage qu'il a invité à sa table pour ce qu'il est : un escroc.

Alors ? Qui est le mort ? Et très bientôt, où est passé le Letton qui disparaît de l'hôtel sans tambour ni trompettes avant d'y reparaître, un ou deux jours plus tard, avec le même étonnant sans-gêne ?

Si Simenon puise encore les ressorts de son histoire dans le fonds de commerce de ce roman populaire qu'il rêve de laisser en carafe, si, çà et là, se pointent encore deux ou trois points d'exclamation très mélodramatiques et éminemment feuilletonnesques, "Pietr le Letton" est cependant du Maigret pur jus : bougonnements, silences, cogitations diverses, grand remuement interne du commissaire lorsqu'il comprend que l'un de ses inspecteurs, Torrence, a été assassiné parce que lui-même lui avait dit de rester tranquillement à l'hôtel, à surveiller le Letton et les Américains, cette colère formidable et têtue dont les aficionados verront bien souvent leur héros accablé devant l'injustice amère de l'existence, et bien sûr ces descriptions de paysages urbains et nocturnes à nulle autre pareilles. Avec, pour une fois - la seule, je pense - la "bourde" magistrale et plus ou moins volontaire du commissaire qui laisse le Letton s'emparer de son arme de service pour se donner la mort.

Maigret agit-il par pitié ? Ou pour venger la mort de Torrence ? Son inconscient intervient-il ou pas ? le lecteur cherche et cherchera longtemps la réponse.

Que dire d'autre ? On ne résume pas Simenon : on se contente d'encourager sa lecture - y compris et avant tout peut-être celle des non-dits qui peuplent l'univers de Maigret. ;o)
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