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Critique de oblo


oblo
04 septembre 2018
On commence Femmes blafardes et on se dit que ce livre est sombre. On finit Femmes blafardes et on se dit que ce livre est cynique. Dans une ville anonyme de Vendée, durant les mois d'automne et d'hiver, l'ancien flic, l'ancien détective et apprenti journaliste Séverin Chanfier est le témoin extérieur d'une série de meurtres qui, ritualisés, finissent par mettre en ordre la ville, selon la formule consacrée sur un coin de table : crime = ordres ; pas de crimes = désordre. Ces femmes blafardes, qui donnent son titre au livre, ce sont les victimes d'un meurtrier mystérieux qui dépose, à côté de ces corps auxquels il a ôté la vie, un éventail. Jack l'Eventeur, macabre plaisanterie, est le surnom que l'on donne bientôt à ce criminel. D'une régularité terrifiante, Jack l'Eventeur tue chaque jeudi soir une femme : ouvrière, étudiante, veuve ... Ces femmes blafardes, étranglées, éventrées, tuées de toute façon, ne sont que le prétexte d'une vaste comédie que Pierre Siniac met en scène.

En choisissant l'une de ces obscures villes de province, dont on peut parfois vaguement connaître le nom sans la visualiser réellement, Pierre Siniac enferme déjà le lecteur dans un huis-clos au décor naturel et aux lieux de sociabilité bien établis : le centre culturel, le cinéma, un bar, deux restaurants (l'un, le Restaurant de la Gare, populaire, l'autre, Aux trois couteaux, où se réunissent les élites de la ville), l'usine d'armements (qui emploie la grande majorité des habitants), deux grands magasins qui sont les locomotives commerciales de la cité, le bordel, enfin, où les confidences sur l'oreiller permettent de mettre à jour le mécanisme invariablement réglé qui régit la ville.

Cette mécanique bien huilée, Pierre Siniac la répète jusqu'à saturation et la pousse jusqu'à l'absurde puisque ces événements finiront par avoir une influence sur la politique nationale. Suivant le principe de l'effet papillon, les événements s'enchaînent naturellement et provoquent, mécaniquement, le crime du jeudi soir. Voilà donc une ville où rien, ordinairement, ne se passe, et où l'extraordinaire surgit sous la forme d'un meurtre ritualisé. La quête du meurtrier, elle, n'occupe que peu le lecteur. Séverin Chanfier mène son enquête sans avancer, au milieu de types de personnages bien établis et à peine caricaturaux. Chacun, depuis le commerçant Hurlejaume, vitrine de la réussite sociale jusqu'au journaliste ivrogne Forgesclain, en passant par le clochard Mésange, par l'astrologue Melle de Chamboise et le VRP Saint-Valbert, semble avoir une raison, même farfelue, de tuer.

Le tableau s'alourdit encore de la présence d'un corbeau et par celle, incompréhensible parfois, du lapin chasseur au menu du restaurant Aux trois couteaux, meilleure table de la région. Siniac livre ainsi, dans Femmes blafardes, un polar qui se joue des codes de son propre genre. S'il y a bien un crime et une raison à celui-ci, l'implacabilité de celle-ci (sans qu'aucune solution ne puisse être trouvée ; la tentative de l'employé communal Pierre Martin le prouve) lui donne un caractère absurde. Usant d'une langue qui manie aussi bien le classicisme du français que'un argotisme aux relents céliniens (relents seulement, n'exagérons rien), Pierre Siniac accumule les poncifs sans alourdir son oeuvre ; au contraire, il y a une légèreté dans ce roman, une distance qu'on dirait établie par cet exercice de style. Il n'y a que les détails glauques qui n'attirent pas le cynisme de Pierre Siniac et pour cause : à la lecture de Femmes blafardes, on comprend que ces femmes, justement, à la langue tirée et au visage congestionné, ne conviennent pas à l'auteur. Ce qui lui va, à lui, ce sont les vivants : il n'y a qu'eux pour offrir une pareille comédie humaine.
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