Si elle devenait bourreau, elle ne serait plus victime. Plus jamais victime. Cela ne valait-il pas une miette de son âme ?
L'envie toxique, mortifère, continua de monter en elle, qu'elle le veuille ou non, exactement comme l'avait dit Hadès.
C’était le moment où Manon intervenait. Elle ralentissait le processus du temps sur la chair inanimée. Elle rendait les morts présentables pour que les vivants puissent faire leur deuil.
Manon savait qu'on arrêtait pas les cauchemars.
Ni maintenant, ni jamais.
Essayer de les affronter ne faisait que les rendre plus forts.
Essayer de remonter leur piste ne pouvait que ramener aux territoires insaisissables de l'âme et à la nuit absolue, insondable, dont ils étaient issus.
Insidieux.
Instoppables.
Manon souffla dans ses mains, éparpillant les brins de gazon devant elle. Elle sentait qu'elle effleurait quelque chose d'important, sans parvenir à mettre le doigt dessus.
C'était comme si son esprit lui hurlait qu'elle avait la solution sous son nez et qu'il lui suffisait d'ouvrir les yeux. De les ouvrir tout de suite.
Or, elle n'arrivait toujours pas à assembler les pièces du puzzle entre elles.
La frustration qui en résultait était une vraie torture.
Dans l'immédiat, il avait surtout envie d'une bière, de réfléchir et de se mettre quelque chose dans l'estomac. Il avait été incapable d'avaler quoi que ce soit avant de venir.
Il se mit donc en quête d'un endroit où manger.
Il ne vit pas la jeune femme brune qui l'observait depuis l'autre côté de la rue. Un homme en costume se tenait à côté d'elle.
Ils patientèrent quelques instants. Après quoi l'homme et la femme se mirent à le suivre.
- Vous avez parlé d'une tâche sur votre plafond, commença Raynal, qui ne souhaitait visiblement pas perdre de temps. On peut la voir ?
- Dans ma chambre. Suivez-moi. (Manon)
Elle leur fit traverser l'appartement, l'infiltration avait continué. Les draps de son lit étaient criblés de petites gouttes rouges.
- Oh, merde, fit Achour.
- Je suis sincèrement désolé, dit le capitaine Raynal. Ce doit être un choc pour vous.
Manon haussa les épaules.
- Vous savez, je suis thanatopractrice. Je vois beaucoup plus choquant tous les jours.
Ariel avait vingt-six ans. Il se comportait comme s'il en avait toujours quinze. Manon ne pouvait plus le supporter, c'était aussi simple que ça.
- Tu ne vas pas me dire que tu crois au diable?
Elle y réfléchit sérieusement l’espace de quelques instants.
- Pas au diable en tant que divinité, finit-elle par déclarer. Mais je crois que certains humains peuvent être le diable, oui.