" - Tu te souviens de ta maman ? Pas celle de maintenant mais la vraie.
Mary se mit à sucer son pouce et contempla son frère, les yeux écarquillés.
- Nos vraies mamans, elles ne voulaient pas de nous, parce qu'on était méchants. "
Mike s’allongea sur le dos et ferma les yeux. Sa concentration était presque palpable. Quand il se remit à parler, il raconta tout à Mark. Tous les deuils qu’il avait subis par le passé, et dont il se rendait responsable. Il parla de Charlotte, de Loras, de sa mère biologique, qui l’avait abandonné, de sa tendance à repousser et à décevoir ceux qu’il aimait et de l’accablante culpabilité qui l’écrasait. Il ne voyait qu’une seule solution : revenir à la case départ, retrouver sa mère biologique, pour comprendre ce qui s’était passé, il y avait de cela des années. Alors peut-être parviendrait-il à rompre le cycle de douleur qui l’emprisonnait.
- Sans quoi, j’ai l’impression que ce schéma… cette tragédie… va se perpétuer à l’infini…
Mark hésita, puis il prit Mike dans ses bras et le berça comme un bébé.
De l’avis général, les buandières étaient les plus à plaindre, et ce fut la besogne qui échut à Philomena. Chaque matin, après la messe, elle gagnait avec ses camarades les salles sombres et étouffantes où de vastes cuves d’eau bouillaient sur leurs feux de coke. Là, des employées suantes et lasses leur apportaient des piles de draps, d’habits cléricaux et d’uniformes de pensionnaires à jeter dans les remous. Pendant des heures de rang, les jeunes femmes touillaient le contenu des cuves du bout de leurs bâtons et manipulaient le linge trempé, s’écorchant les mains, se couvrant la peau de cloques.
Les sœurs proposaient leurs services de buanderie non seulement aux habitants de Roscrea mais encore aux villages voisins, à leurs hôpitaux et à leurs internats, sans qu’aucun de leurs clients se doutât des conditions infernales dans lesquelles leur linge étai lavé. Les religieuses assénaient aux jeunes filles qu’en frottant, essorant et repassant elles lavaient leurs âmes souillées, mais l’intérêt principal de la tâche était pécuniaire. L’Eglise remettait dans le droit chemin des brebis égarées mais ne rechignait pas, au passage, à en tirer profit.
On faisait une courte pause pour le déjeuner ; les mères étaient alors autorisées à voir leurs enfants. Puis on se remettait à l’ouvrage. Le soir, on faisait la poussière ou l’on effectuait d’autres travaux ménagers. Après le dîner, on disposait d’une heure pour coudre ou tricoter, les pensionnaires étant chargées de confectionner elles-mêmes les vêtements de leurs enfants ; nombre d’entre elles devinrent ainsi des couturières émérites. Elles ne possédaient ni livres ni radio, mais pouvaient passer cette heure dans la nursery ou dans la salle de jeu des enfants plus âgés. C’était cette heure, attendue avec impatience, qui permettait à la jeune mère de nouer avec son bébé des liens qui les hanteraient l’un et l’autre leur vie durant. On laissait l’amour éclore. Il eût été bien moins cruel de retirer les enfants à leurs mères aussitôt après leur naissance.
De sa main livre, il se frotait le menton, l'air songeur, et quand la bandoulière retomba, Mike se retrouva face à face avec cet enfant qu'il connaissait sans le connaître, en ce lieu dont il se souvenait sans s'en souvenir, et qu'il avait mis tant de temps et d'ardeur à redécouvrir.
La mort change tout. Elle change ce qu'on pense des gens ; elle transforme les morts autant que les vivants.
c'est comme quand on entend une super chanson à la radio. D'abord, on arrivez plus à se la sortir de la tête, mais elle finit par s'estomper, et un beau jour on ne se souvient plus de l'air, seulement de ce qu'on a ressenti en l'écoutant. C'est ça que j'éprouve.
Tu es comme un livre que personne n'aurait le droit d'ouvrir, même pas moi.
Le monde entier semblait fondé sur l'arbitraire et le hasard. Si Anthony n'avait pas tiré la manche de l'inconnue, s'il ne l'avait pas embrassée, ce jour-là, tout aurait été différent...
C'était cette heure, attendue avec impatience, qui permettait à la jeune mère de nouer avec son bébé des liens qui les hanteraient l'un et l'autre leur vie durant. On laissait l'amour éclore. Il eût été bien moins cruel de retirer les enfants à leurs mères après leur naissance.
Une infinie solitude creusait les traits de Philomena, solitude commune aux jeunes filles qui peuplaient par centaines le couvent de Roscrea et d'autres établissements similaires à travers toute l'Irlande : répudiées pour un péché qu'elles avaient commis presque sans le savoir, il s'agissait souvent d'enfants soumises à un châtiment implacable et adulte.