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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Après la bataille, tout le monde est général"

... dit le proverbe. Ces mots caractérisent à la perfection "Les lâches", le deuxième titre de la pentalogie libre de Josef Škvorecký, consacrée à Danny Smiřický, son alter-ego littéraire.

J'ai toujours aimé, chez Škvorecký, ce mélange d'écrivain et d'homme simple. Il n'était jamais un fanatique, un lèche-botte qui tourne sa veste à la demande, ni un monsieur-je-sais-tout qui critique son époque en voulant avant tout attirer l'attention sur lui. Même en le comparant avec des auteurs bien plus connus : Kundera, Havel, Kohout, Klima, Uhde (et pratiquement toute l'élite intellectuelle tchèque de l'époque), il reste fascinant par son désengagement. C'est comme si depuis le début, quelque part, il "savait", en ne se laissant jamais amadouer par aucune idéologie; les efforts des histrions qui faisaient tout pour devenir visibles le laissaient de marbre, et il écrivait pour le simple plaisir d'écrire.
Son exil à Toronto après le fameux '68 n'est que logique, et presque tragicomique, si on connaît l'histoire de plusieurs versions de ses "Lâches", finalement autorisés à sortir après les corrections imposées... juste pour servir d'exemple à quoi la bonne littérature socialiste ne doit surtout pas ressembler. Contre toute attente, les lecteurs s'arrachent cet horrible fruit véreux, et l'auteur de la seule critique positive qui apparaît dans la presse est immédiatement licencié.
Škvorecký n'était jamais attiré par la "grande littérature", sa passion pour le genre détective en témoigne, et la plupart de ses héros portent en eux cette lucidité et l'étrange tristesse qui émane aussi de son personnage de lieutenant Boruvka.
Il continue à écrire à Toronto, il enseigne la littérature, et avant tout il dirige (avec sa femme Zdena Salivarová) une maison d'édition '68 Publishers, consacrée aux auteurs proscrits dans leur pays. Malgré les razzias de la police secrète, ces livres continuent à circuler parmi les lecteurs en Tchécoslovaquie. ("Quel mot bêtement long", songe parfois Danny...)

Josef Škvorecký et le Danny Smiřický de ses livres... c'est du pareil au même. Danny est loin d'être un héros socialiste, tout ce qui l'intéresse c'est la culture américaine, les filles et le jazz. Mais il a le don d'utiliser les mots justes pour analyser ce qu'il est en train de vivre, même dans cet accès de faux héroïsme quand tout véritable danger est déjà écarté.
Le livre décrit les huit derniers jours de la guerre, mieux connus comme "l'insurrection de Prague". Les Allemands se retirent et les Russes avancent, mais tandis qu'à Prague c'est un soulèvement armé contre l'occupant, dans la petite bourgade de Kostelec où vit Danny, c'est le calme plat. Mais les Allemands battus approchent, et chacun attend avec impatience de pouvoir arracher une petite partie de la gloire, pour dire plus tard : "Moi aussi, j'étais dans la résistance !" Même Danny et ses potes du jazzband veulent être là, surtout pour frimer devant les filles et notamment la belle Irena.
Même si Irena sort déjà avec Zdenek (ce bolchevik !), et même si Danny la trouve complètement bête. C'est le jeu de séduction qui l'intéresse. Et il se pourrait que Zdenek meure pendant cette "révolution de fortune" qui se prépare à Kostelec, ce qui arrangerait Danny, ou alors c'est lui qui va mourir, et l'idée de savoir Irena triste est très plaisante.
Pas très héroïque, ni très nationaliste, comme pensées...
Danny va se joindre au groupe d'hommes de la brasserie qui sont pour le départ calme et organisé des Allemands, mais la situation va déraper face aux communistes exaltés, et avec le chaos ambiant il va se perdre quelque peu entre les deux factions... mais peu importe, il est là, il profite de la vie, et il pense à Irena... dans cet inimitable langage populaire plein d'expressions réjouissantes dont Škvorecký a le secret.

Pour moi, ce livre est une sorte de paradoxe. C'est extrêmement bavard, ça tourne souvent en rond en se perdant dans des réflexions interminables sur les filles et le jazz, et Danny, ce parfait exemple de la jeunesse dorée, est un freluquet qui m'insupporterait dans la vraie vie. Et pourtant... à chaque fois je me fais avoir, car l'ensemble est incroyablement charmant.
Si un jour vous visitez Náchod (qui a servi de modèle à "cette belle ville de Kostelec"), vous trouverez le pub Port Arthur inchangé, comme si le jazzband de Danny venait juste de partir. Il ne manque que le vieux Winter, pour vous servir la fameuse limonade verte.
Et vous pouvez imaginer la belle Irena sourire par la fenêtre de la poste à la statue de Danny/Josef, assis juste en face et lui souriant en retour de son visage de bronze.
Je donne 4 symboles de l'armée libératrice sur 5.
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