Pendant cette accalmie les hommes ont dépouillé les morts.ennemis pour prendre des souvenirs.
Une tache atroce qu’ils effectuaient de façon extrêmement méthodique. (…)
Les homme fanfaronnaient, comparaient leurs prises et souvent les troquaient.
C’était un rituel banal et horrible comme il en a existé depuis la nuit des temps sur les champs de bataille où les ennemis se vouent une haine réciproque.
Et comme dans toute guerre cela rien de civilisé, c’était fait avec cette sauvagerie particulière qui caractérisait le combat entre les marines et les Japonais. Il ne s’agissait pas seulement d’une chasse aux souvenirs ou de piller des cadavres ennemis, on aurait dit des guerriers prenant des scalps.
(p. 269)
L’accepter était difficile.
Nous venons d’un pays et d’une culture qui valorisent la vie et l’individu.
Se retrouver dans une situation où votre vie semble n’avoir que peu de valeur vous plonge dans une suprême solitude. C’est une expérience qui rend humble.
La plupart des vétérans avaient déjà fait face à cette réalité à Guadalcanal ou à Gloucerter, mais c’est ici, dans ce marécage qu’elle m’est tombée dessus.
(p. 199)
Ainsi que le disait les soldats : "Si le pays vaut la peine qu'on y vive, il vaut la peine qu'on se batte pour lui." Le privilège va de pair avec la responsabilité.
Bien que je sois au beau milieu de ces événements précipités, j’ai baissé les yeux sur ma carabine en réfléchissant sobrement.
Je venais de tuer un homme à bout portant.
Avoir vu la douleur sur son visage quand mes balles l’avaient atteint m’avait ébranlé.
D’un seul coup la guerre est devenue une affaire très personnelle. L’expression de cet homme m’a rempli de honte et de dégoût pour la guerre et tout le malheur qu’elle provoquait.
L’expérience que j’avais eue jusque là du combat m’a fait comprendre que de tels sentiments à l’égard d’un soldat ennemi n’étaient pas des méditations larmoyantes d’imbécile. Moi qui faisait partie du 5ème régiment de Marines-un des régiments les plus anciens, les meilleurs et les plus durs du Marine Corps- je me sentais honteux d’avoir abattu un adversaire avant qu’il ait eu le temps de me lancer sa grenade !
Je me suis senti idiot et me suis félicité que mes camarades ne puissent pas lire dans mes pensées.
(P. 226)
La guerre, brutale et peu glorieuse, n'est qu'un horrible gâchis. Le combat laisse une marque indélébile sur ceux qui sont contraints de l'endurer. Les seuls facteurs de rédemption étaient le courage incroyable de mes camarades et le dévouement dont ils faisaient preuve les uns envers les autres. L'entraînement du Marine Corps nous a appris à tuer avec efficacité et à essayer de survivre. Mais il nous a également appris la loyauté l'un envers l'autre - et l'amour. C'est cet esprit de corps qui nous a permis de tenir.
Les cadavres gisaient là où le vétéran les avait tirés pour les fouiller. Allais-je devenir aussi dur et désinvolte devant des morts ennemis? La guerre allait-elle me déshumaniser au point que moi aussi je "détrousserais" les cadavres avec autant de nonchalance? Le moment viendrait bientôt où ça ne me dérangerait plus du tout.
Attendre constitue une partie essentielle de la guerre, mais je n'ai jamais vécu un suspense aussi insoutenable que la torture atroce de ces instants qui ont précédé le signal de l'assaut sur Peleliu. La tension montait à mesure que les bombardements s'intensifiaient. Couvert de sueur froide, le ventre noué, j'avais une boule dans la gorge et n'arrivais à avaler ma salive qu'avec une extrême difficulté. Mes genoux manquant se dérober, je me suis vaguement accroché au montant du tracteur. J'avais la nausée et redoutais que ma vessie se vide en révélant le lâche que j'étais.
Le sergent recruteur portait un pantalon de treillis bleu, une chemise kaki, une cravate et un calot blanc. Ses chaussures brillaient comme un sous neuf. Il m'a posé tout un tas de questions et a rempli d'innombrables formulaires officiels. Quand il m'a demandé si j'avais "des cicatrices, des marques de naissance ou d'autres signes particuliers", je lui ai parlé d'une cicatrice de deux centimètres et demi sur mon genou gauche. Et lorsque j'ai voulu savoir pourquoi il me posait cette question, sa réponse a été la suivante: "Pour qu'on puisse vous identifier sur une plage du Pacifique après que les Japs auront fait sauter vos plaques militaires." Telle a été mon introduction à l’extrême réalisme qui caractérisait le Marine Corps et que je découvrirais par la suite.