— « La Fille de l’Ascenseur » ? Ça me va très bien. Mais Lucy marche pas mal aussi. Je suis au 24D.
Il hésita deux secondes.
— Je suis à la cave, finit-il par lâcher avec un petit haussement d’épaules désabusé.
— Oui, forcément, murmura-t-elle, prenant conscience – un peu tard – de sa gaffe.
Heureusement qu’il faisait noir ! Au moins, il ne la verrait pas piquer un fard.
Cet immeuble était une sorte de petit pays à lui tout seul, avec ses lois et ses coutumes : ici, quand on rencontrait quelqu’un de nouveau, on ne lui disait pas seulement son nom, on ajoutait aussitôt le numéro de son appartement. Elle avait juste oublié que le gardien était toujours logé dans un petit F2 au sous-sol – où elle n’était jamais allée, d’ailleurs.
— Au cas où tu te demanderais ce que je fais dans cet ascenseur, reprit-il au bout d’un moment, je me suis juste aperçu que le panorama était beaucoup plus beau vu d’en haut.
— Je croyais que c’était interdit d’aller sur le toit.
Il remit son portable dans sa poche et en sortit une simple clef, qu’il posa bien à plat sur sa paume.
— C’est vrai, lui répondit-il avec un large sourire. En théorie.
Parce que c’est ce qui se passe quand on est avec quelqu’un comme ça : le monde rétrécit pour adopter juste la bonne taille, celle qui vous inclut tous les deux. Vous et personne d’autre.
Mais, cette nuit, il n’y avait plus que le grand dais noir du ciel et cette pluie d’étoiles au firmament. Ça brillait tellement qu’elle ne pouvait plus en détacher les yeux.
— L’agent avait raison, murmura-t-elle. Ça doit être un sacré spectacle vu de l’espace.
Owen ne répondit pas tout de suite. Et quand il s’y décida, sa voix n’était plus qu’un souffle :
— Je sais pas. Je crois que c’est encore mieux vu d’en bas.
Et ça lui parut, soudain, la plus sincère des gentillesses, la plus élémentaire preuve d'amour : s'inquiéter pour quelqu'un qui s'inquiète pour vous.
— Et pour que, toi aussi, tu puisses faire un vœu.
— C’était quoi, le tien ? De retourner là-bas un jour ?
— Pas vraiment.
— Quoi alors ?
Elle leva la tête pour le regarder.
— De revenir ici un jour.
Il sourit.
— Le seul problème, c’est qu’on est décalés de près de quinze mètres, lui signala-t-il en désignant du doigt la place qu’ils avaient occupée la dernière fois, là où il avait fait apparaître une étoile au dernier endroit qu’on puisse imaginer. Et je suis quasi sûr que le vrai centre du monde, c’est là-bas.
— Je sais pas… (Mais elle souriait aussi, il le voyait bien.) Moi, je crois qu’on y est déjà.
— Alors ?
— Je crois que… Ouaip, j’en vois une.
— Où ça ?
Elle lui prit la main et la guida vers le point le plus haut du ciel.
— Juste là. Elle est super-grosse. Et elle brille drôlement.
Il avait manifestement du mal à garder son sérieux.
— C’est la lune.
— Ah bon ?
— Oui, oui, hoqueta-t-il, mort de rire.
Elle sourit.
— Ben, c’est encore mieux.
— Où vas-tu, d’ailleurs ? l’interrogea alors sa mère d’une voix songeuse. Quand tu marches dans New York ?
Lucy haussa les épaules.
— Nulle part.
Et puis elle se ravisa :
— Partout.
Sa mère ne chercha pas plus loin, et elles en restèrent là.
— Pour mon fils préféré, déclara-t-il avec un grand sourire en glissant une assiette de pancakes devant lui.
— Ton fils unique apprécie, lui rétorqua-t-il en attrapant le sirop d’érable.
« Le hall à midi le 7 juin. »
(...) Et puis elle tapa : « Pas en haut de l’Empire State Building ? » et appuya sur « Envoyer » avant d’avoir le temps de se raviser.(...)
« Qu’est-ce que tu dirais de la statue de la Liberté à minuit ? » (...)
« Ou, mieux, une barque à Central Park au crépuscule. »
« Un taxi sur Broadway à l’aube. »
« Une calèche sur la Plaza en plein midi. »
« Le colonel Moutarde avec la corde dans l’observatoire. »
Son rire dut résonner du haut en bas de la maison endormie.