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Critique de Luniver


Adam Smith fait partie de la catégorie des auteurs qui sont plus adulés ou détestés que lus. À force de l'entendre être cité à tort et à travers, j'ai voulu aller voir par moi-même ce qu'il racontait vraiment.

Sans grande surprise, on retrouve bien les bases philosophiques du libéralisme, qu'il est toutefois intéressant de retrouver dans leur forme « originelle » : division du travail, liberté d'entreprendre et de recevoir les fruits de ses efforts – opposée à l'esclavage et au servage, ouverture du commerce au monde extérieur sans barrières artificielles de taxes et de quotas, et allergie à tout prix ou salaire fixe qui vient fausser l'équilibre naturel du marché.

Il est toutefois intéressant de noter que ce libéralisme est très collectif : si Adam râle sur les prix minimums, c'est parce qu'il estime que cette mesure « vole » la population d'un travail qui est aurait été créé sans eux. S'il s'oppose à une mesure pour soutenir l'industrie locale de drap (alors que la nation est forte en blé), c'est parce que ça oblige la population à payer plus cher son blé ET ses draps (et de recevoir des draps de plus mauvaise qualité, en plus).

Il y a une vraie notion d'effort collectif pour aller vers le plus efficace : pas de guerres, toujours plus d'échanges commerciaux, toujours plus d'accumulation de richesses et d'innovations. Tout en reconnaissant de mauvaise grâce que chacun est libre de faire ce qu'il veut de son argent, on sent une forme d'obligation morale à investir son argent dans la création de nouvelles richesses (ce qui enrichit toute la nation), plutôt que de les gâcher bêtement en produits de luxe destinés au paraître (ce qui appauvrit toute la nation également). Cette notion d'effort collectif me paraît très effacée aujourd'hui, pour une vision plus individualiste (« qui êtes-vous pour me dire ce qui est bien ou mal ? »).

Ceci étant dit, je comprends pourquoi ce livre est peu lu. Ce n'est pas vraiment un traité de vulgarisation, qui pose les bases claires d'une nouvelle philosophie. C'est plutôt une compilation d'études de cas, dans lesquels les principes fondateurs apparaissent en filigrane, mais qui contiennent aussi des réflexions politiques et historiques, et des débats sur les théories économiques concurrentes (le mercantilisme notamment).

À moins d'être passionné par l'évolution du prix du boisseau de froment à Windsor, ou l'impact des primes de pêche sur la production de barils de hareng en Écosse, on se lasse assez vite de ces compilations de chiffres et de dates – tout en reconnaissant qu'il y a une vraie démarche scientifique moderne à utiliser des faits concrets pour soutenir ses théories, au lieu de prendre des idées reçues ou des opinions personnelles pour des vérités universelles.

Point amusant : la « main invisible du marché » qu'on attribue à Adam Smith à tout va, n'existe pas dans ce texte (et après vérification, dans aucun autre non plus) : la seule occurrence de « main invisible » parle plutôt de la somme des égoïsmes qui donne le meilleur des mondes pour le collectif. Donc non seulement on le cite sans le lire, mais en plus pour parler de quelque chose qu'il n'a jamais écrit. Rien que pour cette découverte amusante, ma foi, je ne regrette pas la lecture de cet essai austère.
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