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Critique de Unvola


Dans ce deuxième volume de « L'Archipel du Goulag », Alexandre Soljénitsyne, par son témoignage et ceux de 227 prisonniers, nous présente l'immensité du Goulag, composé par sa foultitude de camps de concentration, de travaux forcés et de « rééducation ». Il décrit également le fonctionnement et les « relations » à l'intérieur des camps, entre les prisonniers et les bourreaux (ou Tchékistes, nom des bourreaux repris de la première Police Politique du régime Soviétique, instaurée en décembre 1917 par Lénine : la Tcheka !).
Il reprend la généalogie des camps de concentration depuis leurs origines situées, évidemment, dès le début de la période Léniniste. En effet, seuls nos « Camarades », en ce 21ème et début de 3ème millénaire sont encore capables de feindre et même de…, NIER, cette tragique réalité pourtant incontournable. D'ailleurs, de nombreuses citations concernant Lénine sont issues des 55 volumes de ses « Oeuvres ». Effectivement, c'est Lénine, lui-même, qui employait des termes à caractères Terroristes, Criminogènes et pour tout dire…, Totalitaires, dans ses discours et ses ordres, tels que : « camps de concentration », « Terreur massive », « pendre », « fusiller », « travaux coercitifs », « ennemis de classe », « ennemis du peuple », « contre-révolutionnaires », « otages », « parasites », « insectes nuisibles », « éléments socialement douteux », etc. (page 13) :
« Eôs aux doigts de rose, si souvent mentionnée par Homère et que les Latins appellent l'Aurore, a caressé de la main le premier petit matin de l'Archipel.
Lorsque nos compatriotes eurent appris par la BBC la découverte de M. Mikhaïlov, à savoir que l'existence des camps de concentration dans notre pays remontait à 1921, beaucoup d'entre nous (beaucoup d'Occidentaux aussi) furent sidérés : si tôt ! cela se peut-il ? dès 1921 ! est-il possible ?
Bien sûr que non ! Bien sûr que Mikhaïlov se trompe. En 1921, ils fonctionnaient déjà à plein régime, nos camps de concentration (ils étaient même en voie d'achèvement). Il serait bien plus juste de dire que l'Archipel est né au son des canons de l' »Aurore » (croiseur, il tira les premières salves de la révolution d'Octobre (25 octobre/7 novembre) sur le Palais d'Hiver qui abritait la Gouvernement Provisoire).
Comment eût-il pu en être autrement ? Réfléchissons.
Marx et Lénine n'ont-ils pas enseigné la nécessité de briser l'ancienne machine coercitive de la bourgeoisie pour la remplacer sur-le-champ en en créant une nouvelle ? Or la machine coercitive comprend : l'armée (nous ne sommes pas étonnés de voir se constituer l'Armée rouge au début de 1918) ; la police (la milice est rénovée avant même l'armée) ; les tribunaux (à partir du 24 novembre/7 décembre 1917) ; – et les prisons. Pourquoi donc, au moment où l'on instaurait la dictature du prolétariat, eût-on dû tarder à introduire une nouvelle espèce de prison ?
Autrement dit, et d'une façon plus générale, prendre du retard en matière de prison, ancien style ou nouveau style, était une chose rigoureusement impossible. Dès les premiers mois qui suivirent la révolution d'Octobre, Lénine exigeait : « les mesures les plus résolues et les plus draconiennes pour relever la discipline » (note n°1 : V.I. Lénine, Polnoïé sobranié sotchinénïi[Oeuvres complètes] en 55 volumes, 5e édition, Éditions d'État de littérature politique, Moscou, 1958-1965, t. 36, p. 217). Or des mesures draconiennes sont-elles possibles sans prison ?
Quelles nouveautés en la matière l'État prolétarien est-il susceptible d'apporter ? Ilitch [Lénine] explora de nouvelles voies. En décembre 1917, à titre d'hypothèse de travail, il proposa l'arsenal suivant de châtiments : « confiscation de tous les biens (…), détention en prison, expédition au front et travaux coercitifs pour tous les contrevenants à la présente loi (note n°2 : Lénine, Oeuvres complètes., t. 35, p. 176). Nous pouvons donc noter que l'idée directrice de l'Archipel, les travaux forcés, a été avancée dès le premier mois de l'après-Octobre. »
De surcroît, l'Idéologie de la « Dictature du Prolétariat » devrait plutôt être nommée, en réalité : « Dictature SUR le prolétariat » et tous types d'autres « ennemis du peuple », puisqu'en effet, les Bolcheviques (Communistes), dans leur mansuétude légendaire, firent marquer dans la Constitution, dès le 10 juillet 1918, que… (page 17) :
« (…) celui qui ne travaille pas ne mange pas. En conséquence, si les détenus n'étaient pas conviés à travailler, ils devaient, aux termes de la nouvelle constitution, être privés de leur ration de pain. »
Ce principe consistant à nourrir les prisonniers en fonction de leur productivité (de toute façon dans tous les cas, la ration de nourriture dans les camps était totalement insuffisante pour nourrir correctement n'importe quel être humain) devait tragiquement devenir l'un des principes fondamentaux du mode de fonctionnement des camps de concentration et de travaux forcés de l'ère Soviétique, au moins jusque dans la décennie de 1950. D'où, entre autres causes, les 2 MILLIONS de morts au Goulag ! (pages 18, 19, 20, 21 et 24) :
« Lors du VIIIe Congrès du RKP(b) (Rossiïskaïa kommounistitcheskaïa partia (bolchévikov) [Parti communiste (bolchévique) de Russie] ; nom du PCUS en 1918-1923) (mars 1919), les fondements de la « politique du travail coercitif » furent inclus dans le nouveau programme du parti. Quant à la complète mise en forme organisationnelle d'un réseau de camps sur toute l'étendue du territoire de la Russie soviétique, elle coïncida rigoureusement avec les premiers samedis communistes (12 avril-17 mai 1919) : les arrêtés du Vtsik concernant les camps de travail forcé datent des 15 avril et 17 mai 1919 (note n°11 : Sobranié ouzakonéniï u rasporiajéniï Rabotchévo i krestianskovo pravitelstva, Izdavaïemoïe Narodnym Komissariatom ioustitsii [Recueil des dispositions législatives et des directives du Gouvernement ouvrier et paysan, édité par le Commissariat du Peuple à la Justice]. 24 avril 1919, n°12, p. 124 : Sur les camps de travail coercitif ; 3 juin 1919, n°20, p. 235 : Sur l'organisation des camps de travail coercitif). Ils prévoyaient la création (par les soins des tchékas locales) de camps de travail coercitif dans chaque chef-lieu de gouvernement (selon ce qui était le plus commode : dans l'enceinte de la ville, dans un monastère ou bien dans une propriété des environs) ainsi que dans certains districts (pour l'instant, pas dans tous). Chaque camp ne devait pas contenir moins de trois cents personnes (afin que le labeur des détenus remboursât les frais de garde et d'administration) ; tous étaient du ressort des Services punitifs des différents gouvernements.
Mais ces camps de travail forcé n'ont encore pas été les tout premiers camps de la RSFSR (Rossiïskaïa Sovetskaïa Fédérativnaïa Respoublika [République socialiste fédérative soviétique de Russie]). le lecteur a déjà rencontré à plusieurs reprises, en lisant les sentences des tribunaux (1re partie, chap. 8), les mots « camp de concentration ». Peut-être a-t-il cru que nous commettions un lapsus ? que nous utilisions, par inadvertance, une terminologie postérieure ? Il n'en est rien.
En août 1918, quelques jours avant l'attentat perpétré contre lui par Fanny Kaplan, Vladimir Ilitch [Lénine], dans un télégramme adressé à Ievguénia Bosch (note n°12 : Cette femme, aujourd'hui oubliée, s'était vu confier à l'époque (en ce qui concerne la Tchéka et le Tséka) le destin de tout le gouvernement de Penza) et au Comité exécutif du gouvernement de Penza (aux prises avec une révolte paysanne qu'il n'arrivait pas à mater), écrivait ce qui suit : « Enfermer les douteux (pas les « coupables », les douteux – A.S.) dans un camp de concentration hors de la ville » (note n°13 : Lénine, Oeuvres complètes, t. 50, p. 143-144). En outre : « …faire régner une terreur massive et sans merci… » (notez que le décret qui l'instituait n'avait pas encore été pris).
Et le 5 septembre 1918, une dizaine de jours après ce télégramme, fut publié le Décret du SNK (Sovet narodnykh kommissarov [Conseil des Commissaires du Peuple]) sur la Terreur rouge, signé Pétrovski, Kourski et BontchBrouïévitch. Outre les instructions concernant les exécutions massives par fusillade, il y était notamment prescrit de : « protéger la république des Soviets contre ses ennemis de classe en isolant ces derniers dans des camps de concentration (note n°14 : Recueil des dispositions législatives… 1918, section 1, n° 65, article 710 : de la Terreur rouge).
Voilà donc où – dans une lettre de Lénine, puis dans un décret du Sovnarkom [Soviet des Commissaires du Peuple (Gouvernement)] – il a été trouvé, pour être immédiatement saisi au vol et adopté, ce terme de « camp de concentration », l'un des termes majeurs du XXe siècle, promis à un si vaste avenir international ! Et voilà QUAND : en août et septembre 1918. le mot lui-même s'était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s'agissant de prisonniers de guerre, d'étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même. le transfert de sens est compréhensible : un camp de concentration pour prisonniers de guerre n'est pas une prison, mais un lieu où il est nécessaire de les regrouper préventivement. On proposait maintenant que les citoyens douteux soient eux aussi l'objet de regroupements préventifs extrajudiciaires. L'esprit énergique de Lénine, s'étant présenté en pensée des non-condamnés entourés de barbelés, venait de trouver au passage le mot dont on avait besoin : kontsentratsionnyïé, « de concentration » !
Le chef des Tribunaux militaires révolutionnaires l'écrit, du reste, en toutes lettres : « L'internement dans des camps de concentration s'apparente à l'isolement des prisonniers de guerre » (note n°15 : K. Kh. Danichevski, Revolioutsionnyïé Voïennyïé Tribounaly [Les Tribunaux militaires révolutionnaires], édité par le Tribunal militaire révolutionnaire de la République, Moscou, 1920, p. 40 (Mention : secret). Voilà qui est franc : loi du plus fort et opérations militaires, mais contre son propre peuple.
Et si les camps de travail coercitif du NKIou (Narodny komissariat ioustitsii [Commissariat du Peuple à la Justice]) entraient dans la classe des « lieux communs de détention », les camps de concentration, eux, n'avaient rien d'un « lieu commun », ils étaient organisés, sous la compétence directe de la Tchéka, à l'intention des éléments particulièrement hostiles et des otages. Certes, par la suite, on put également échouer dans les camps après être passé devant le tribunal, mais il va de soi que ce qui vous marquait pour le flot, ce n'était pas la condamnation, mais le critère d'hostilité (note n°16: Recueil Des prisons…, p. 27-28). Toute tentative d'évasion du camp de concentration multipliait (sans jugement là non plus) votre temps de peine par dix ! (Bien dans le ton de l'époque, n'est-ce pas : « Dix pour un ! », « Cent pour un ! »). En conséquence, si quelqu'un, déjà titulaire de cinq ans, s'évadait puis était repris, sa peine était automatiquement prolongée jusqu'en 1968. Pour la seconde tentative d'évasion était prévu (et, bien entendu, régulièrement appliqué) le poteau.
En Ukraine, les camps de concentration furent créés avec un certain retard, seulement en 1920.
Les racines des camps étaient implantées profond, mais nous en avons perdu l'emplacement et jusqu'à la trace. Sur la plupart des premiers camps de concentration, plus personne ne nous fera de récits. Seuls les derniers témoignages de ceux qui ne sont pas encore morts parmi les premiers internés permettent de saisir quelque chose et de le sauver.
À l'époque, les autorités qui installaient les camps avaient une certaine prédilection pour les ex-monastères : murs solides formant enceinte, bâtiments de bonne qualité, et l'ensemble vide d'occupants (les moines, n'est-ce pas, ne sont pas des hommes : dehors, tout ça !). C'est ainsi qu'à Moscou, il y eut des camps de concentration dans les monastères Saint-Andronic, Neuf-du-Saint-Sauveur, Saint-Jean. Le Journal rouge de Pétrograd du 6 septembre 1918 nous apprend que le premier camp « sera installé à Nijni-Novgorod, dans un couvent de femmes vide d'occupantes (…). Les premiers temps, il est prévu d'expédier dans le camp de Nijni-Novgorod cinq mille personnes » (souligné par moi – A.S.).
À Riazan, le camp fut également établi dans un ci-devant monastère (le monastère de Kazan). Voici ce qu'on en raconte. Il y avait là des marchands, des prêtres, des « prisonniers de guerre » (nom que l'on donnait aux officiers capturés qui ne servaient pas dans l'Armée rouge). Mais aussi des clients indéfinissables (le tolstoïen I. Ie… v, dont nous connaissons déjà le procès, y avait précisément échoué). Dépendant du camp, des ateliers : tisserands, tailleurs, cordonniers, ainsi que (cette dénomination existait déjà en 1921) des « travaux généraux », à savoir des chantiers de remise à neuf et de construction en ville. Les détenus sortaient sous escorte, mais les artisans isolés, selon la nature de leur travail, étaient laissés sans gardiens et les habitants leur donnaient, dans les maisons, de petits suppléments de nourriture. La population de Riazan manifestait beaucoup de compassion aux privés (« privés de liberté », et non pas « détenus », telle était la dénomination officielle) ; lorsque leur colonne passait, on leur faisait l'aumône (des biscuits, de la betterave cuite, des pommes de terre) : l'escorte ne les empêchait pas de l'accepter et les privés de liberté partageaient entre eux de façon égale tout ce qu'ils avaient reçu. (À chaque pas, voilà des habitudes qui ne sont pas les nôtres, une idéologie qui n'est pas la nôtre). Les « privés » particulièrement chanceux se casaient dans quelque institution en rapport avec leur spécialité (le… v, aux Chemins de fer) ; dans ce cas, ils recevaient un laissez-passer pour circuler en ville (mais en revenant au camp passer la nuit).
Voici quelle était la nourriture (en 1921) : une demi-livre de pain (plus une autre demi-livre pour ceux qui remplissaient la norme), matin et soir de l'eau bouillante, au milieu de la journée une louche de soupe-lavure (renfermant quelques dizaines de grains et des épluchures de pommes de terre).
Ornements de la vie du camp : d'une part, les mouchardages des provocateurs (et les arrestations y relatives) ; de l'autre, un cercle d'activités chorales et dramatiques. Des concerts étaient donnés à l'intention des Riazanois dans la salle de l'ex-assemblée de la noblesse, l'orphéon des « privés » jouait au jardin public. de plus en plus, les privés liaient connaissance avec les habitants de la ville et se rapprochaient d'eux, cela finissait par devenir intolérable : alors on se mit à expédier les « prisonniers de guerre » dans les Camps du Nord à destination spéciale.
Il y avait une leçon à tirer de ces camps de concentration, avec leur manque de fermeté et de sévérité : ils se trouvaient en plein coeur de la vie civile. D'où la nécessité des camps spéciaux du Nord. (Les établissements du premier type furent liquidés à partir de 1922).
Toute cette aurore des camps mérite qu'on se plonge plus intensément dans ses chatoiements.
Après la fin de la guerre civile, les deux armées du travail constituées par Trotsky durent être dissoutes en raison des murmures des soldats maintenus sous les drapeaux, ce qui ne fit que renforcer le rôle des camps de travail forcé dans la structure de la RSFSR (Rossiïskaïa Sovetskaïa Fédérativnaïa Respoublika [République socialiste fédérative soviétique de Russie]). Vers la fin de 1920, la RSFSR comptait 84 camps sis dans 43 gouvernements (note n°17 : Tsentralny gossoudarstvenny arkhiv Oktiabrskoï revolioutsii (TsGAOR) [Archives centrales d'État de la Révolution d'Octobre], fonds 393, inv. 13, dossier 1c, f. 111). À en croire une statistique officielle (encore que tenue secrète), ils contenaient à l'époque 25 336 personnes, sans compter 24 400 « prisonniers de la guerre civile » (note n°18 : Ibid., f. 112). Les deux chiffres, en particulier le dernier, semblent sous-estimés. Toutefois, si l'on considère qu'ils n'englobent pas les détenus relevant de la Tchéka, où, du fait des opérations de désengorgement des prisons, coulages de péniches et autres formes d'extermination massive, le décompte ne cessait d'être repris à zéro, il se peut qu'ils soient exacts. L'avenir devait compenser.
(…) Voyons donc la suite. Au 1er octobre 1923, au début des années sans nuage de la Nep (assez loin encore du culte de la personnalité), nous avons les chiffres suivants : 355 camps, 68 297 privés de liberté, 207 maisons de correction, 48 163 ; 105 maisons de détention et prisons, 16 765 ; 35 colonies agricoles, 2 328, plus 1 041 mineurs et malades (note n°22 : Archives centrales d'État de la Révolution d'Octobre, fonds 393, inv. 39, dossier 48, ff. 13, 14).


P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
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