La pandémie actuelle nous extrait de notre train-train quotidien et nous plonge dans un nouveau cadre de restrictions : fréquentations, activités, déplacements...Veux veux pas, elle nous impose également des questionnements sur nos rapports avec nos proches, sur nos interactions avec la société ambiante, sur notre propre mortalité…
La présente conjoncture m'a ramené en mémoire la lecture d'une oeuvre qui m'avait fortement marqué il y a un demi-siècle (ah! oui le temps fuit) ; le pavillon des cancéreux, d'Alexandre Soljénitsyne. le parcours de cet
opposant d'exception fut tout à fait phénoménal : soldat, prisonnier politique, mathématicien, auteur « nobélisé », exilé puis rapatrié, et j'en passe. Un héros de ma génération, quoi!
Le Pavillon des cancéreux relate, sous couvert de fiction, l'hospitalisation de son auteur dans un hôpital d'Ouzbékistan en 1952, soigné pour un cancer qu'il réussit à vaincre (tant pour son bonheur que pour le nôtre). Soljénitsyne y décrit en connaisseur les grandeurs et limites du régime de santé dans la période post-stalinienne immédiate (le Petit père des peuples étant décédé en 1953).
On y rencontre (comme dans tout bon roman russe) toute une panoplie de personnages - malades et soignants - qui étalent sans retenue leurs angoisses et leur mélancolie toute slave. le roman expose avec justesse la toile de fond politique de cette époque, dans laquelle les Russes retrouvaient - un tout petit peu - la liberté d'opinion. Toutes les théories et illusions s'expriment à cet égard chez les patients, autant chez l'apparatchik borné et déchu Roussanov que chez le libre-penseur Kostoglotov - alter ego de l'auteur - qui vient de purger des années de bagne pour sédition épistolaire.
L'auteur peint avec minutie la nature et l'évolution des divers cancers, exprimant à cet égard, avec une sympathie de survivant, les espoirs et les illusions des patients . Il nous décrit - avec affection, dirais-je - le dévouement du personnel soignant et il s'attache à relier leur activité professionnelle à leur pratique de vie. Sont particulièrement réussies à cet égard la peinture de la solitude vécue par la docteure Véra Gangart, ainsi que l'angoisse de la docteure Ludmila Dontsova lorsque cette dernière se rend compte qu'elle est atteinte elle-même de la pathologie qu'elle combat quotidiennement.
Un incontestable chef-d'oeuvre, toujours actuel. À lire ou à relire.
CITATIONS
Si longtemps qu'on ait vécu, si mal qu'on ait vécu, on en a tout de même encore envie.
Si l'homme n'était pas sujet à la maladie, il ne connaîtrait pas ses limites.
L'orage brise les arbres et fait ployer l'herbe, mais faut-il dire pour cela que l'herbe a trahi les arbres ? Chacun sa vie. Vous l'avez dit vous-même : survivre, voilà la loi d'un peuple.
"Tumor Cordis, casus inoperabilis"
Prochka dit, en montrant l'endroit du doigt:
-J'y pige rien! Qu'est ce qu'il y a d'écrit ici?
Kostoglotov plissa les yeux avec une grimace de mécontentement.
-Laisse moi réfléchir…
- Eh bien, bonne chance! Guérissez bien,les gars! Retrouvez vite maison et femme!
Prochkaleur serra la main à tous et, une fois dans l'escalier, il se retourna gaiement et leur fit un signe de la main.