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Critique de BillDOE


1956, en « relégation à perpétuité » dans un village du Kazakhstan après avoir passé sept ans au goulag, Soljenitsyne fait une rechute du cancer qu'il avait eu lors de sa déportation et est soigné à l'hôpital où les éléments de son roman « le pavillon des cancéreux » lui seront inspirés. Il qualifiera sa guérison de miraculeuse car lorsqu'il est arrivé dans ce service, il était à l'article de la mort.
De 1963 à 1967, Alexandre Soljenitsyne rédige son manuscrit où il livre son expérience de l'appareil médical soviétique à travers Oleg Kostoglotov, un de ses personnages. Sous le régime de Brejnev, la publication de l'ouvrage est rendue difficile. Seuls quelques exemplaires circulent. En 1968, des traductions sont publiées en Europe contre l'autorisation de l'auteur. En 1969, le livre est interdit en Union Soviétique et Soljenitsyne est exclu du syndicat « l'union des écrivains soviétiques ».
Le roman ne raconte pas une histoire. L'auteur décrit avec beaucoup de vraisemblance une assemblée de personnages qui forment une micro société au sein d'un service pour cancéreux. C'est une rencontre avec ses contemporains issus de différents milieux et les échanges qui en découlent, leur expérience de la société soviétique, de ses règles parfois absurdes que l'on retrouve à cet étage oncologique et plus largement de la vie en URSS et des scléroses du système. On a l'impression d'évoluer au milieu d'une cour des miracles. Ses personnages sont tout le monde et n'importe qui car le cancer « aime » tout le monde et n'importe qui, sans faire de distinction ; et au prétexte de cette pathologie, il vise la société marxiste, léniniste, stalinienne, bolchevique, soviétique, communiste, appelez « çà » comme vous voulez, qui sont d'autres qualificatifs pour un cancer idéologique dont les métastases ont infecté une partie du monde. (Méfiez-vous toujours de « l'ami qui vous veut du bien » !)
C'est évidemment un ouvrage remarquablement bien écrit, bien documenté. L'auteur nous fait parfaitement vivre la monotonie de la routine hospitalière. le texte coule comme un long fleuve tranquille et bien qu'il semble créer en nous une somnolence hypnotique, Soljenitsyne ne manque pas de faire passer son message, une critique maline de la mécanique bolchevique d'état et de son idéologie sclérosante par l'uniformisation de la pensée et où l'individu s'efface au profit de la collectivité. Au-delà de l'exaltation des performances scientifiques et médicales de la patrie du petit père des peuples, rideau de fumée qui cache une autre réalité que dénonce Soljenitsyne, ce dernier fait allusion à tous les travers du système comme par exemple de renvoyer mourir chez eux les malades incurables afin de faire baisser les statistiques de mortalité en milieu hospitalier (le procédé a fait école même dans les démocraties occidentales !). Mais pas seulement, le texte est émaillé de piques subtiles et d'exemples du même acabit qui relèveraient de la farce s'ils n'avaient pas des conséquences tragiques.
Il dénonce la bêtise crasse d'une société de l'arbitraire dont il a lui-même été la victime. Capitaine dans l'armée russe, il remet en question les qualités de stratège militaire de Staline lors d'une correspondance avec un ami ce qui le condamnera au goulag sans autre forme de procès. Il règle ses comptes par l'intermédiaire de son personnage d'Oleg Kostoglotov où lorsqu'on doit lui transfuser du sang, le docteur Véra Kornilievna lui précise qu'il date du 5 mars, il rétorque : « oh ! le 5 mars, ça nous va parfaitement bien ! ... C'est très bien pour nous. » Staline est mort un 5 mars.
Soljenitsyne ne critique que ce qu'il a expérimenté, ce n'est pas un idéologue, il n'émet pas d'hypothèse, il présente des faits concrets. Il a l'intelligence d'écrire un roman / reportage qui, selon les reproches que pourrait lui faire un certain lectorat, lui permettrait d'avancer qu'il s'agit d'une fiction ou d'un inventaire de preuves à charge, c'est selon.
« le pavillon des cancéreux » fait partie des incontournables de la littérature, écrit plus par un patriote amoureux de la Russie que par un dissident.
Préface de Georges Nivat.
Traduction d'Alfreda et Michel Aucouturier, Lucile et Georges Nivat, Jean-Paul Sémon.
Editions De 1968, Julliard, le Livre de Poche, 701 pages.
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