Ilios et Iliade

Seize mètres de débris, coupés par des pans de murs et parsemés d'objets de toute sorte, s'étaient pendant des siècles entassés au-dessus du roc primitif de la colline d'Hissarlik. « Si vous pouviez voir (écrit un témoin, oculaire, le professeur Virchow) quelle montagne, au sens propre du mot, il a fallu percer et enlever pour apercevoir la couche inférieure, vous auriez peine à croire qu'un seul homme, en peu d'années, ait pu accomplir une si grande entreprise » Ce monceau de décombres recouvrait les stratifications de sept villes superposées.

A ces souffrances physiques s'ajoutèrent les désagréments qui vinrent du gouvernement turc. L'explorateur avait besoin de l'autorisation officielle de la Sublime Porte : elle ne lui fut octroyée qu'avec mauvaise grâce et pour un temps restreint. Le firman dut être renouvelé jusqu'à trois fois. Il fallut faire jouer les ressorts diplomatiques, mettre en branle le ministre des Etats-Unis à Constantinople, les ambassadeurs d'Italie et d'Angleterre, enfin, pour le dernier renouvellement, le chancelier de l'empire allemand, le prince de Bismark, dont la haute influence fit délivrer un firman plus libéral.

Mais tous ces ennuis venus de haut lieu ne sont pas comparables aux vexations que l'imperturbable explorateur eut à subir de la part d'officiers subalternes, envoyés à Hissarlik pour épier toutes ses démarches. Leur zèle aveugle lui créa maint embarras. Ce n' était là que des difficultés extrinsèques ; restait à triompher des obstacles qui surgirent de la nature même du terrain à explorer.

M. Schliemann quitta enfin Paris, en avril 1868, pour réaliser le rêve de son enfance. Il parcourut l'île d'Ithaque traversa le Péloponèse où les ruines de Mycènes, qu'il devait exhumer un jour, attirèrent particulièrement son attention.

Les ruines ont leur éloquence. De tout temps elles ont éveillé dans les âmes sensibles une mystérieuse sympathie. Mais quand ces débris s'offrent comme des reliques d'un passé glorieux disparu depuis des siècles, à la sympathie vient se joindre une émotion plus vive et plus désintéressée, celle de l'admiration.