Je savais désormais qu’il ne peut exister de détresse plus affreuse que celle du dévouement de la pitié, tendant des mains vainement chargées d’offrandes.
Vous apprendrez peu à peu que la reconnaissance, lorsqu’elle existe, est basée, le plus souvent, moins sur ce que vous aurez fait que sur ce que le malade vous croira susceptible de faire à nouveau pour lui dans l’avenir.
Le grand art du médecin, où doit entrer autant de bonté que de savoir-faire, c’est de laisser croire à chaque malade qu’on en soigne beaucoup d’autres, mais qu’on ne s’occupe que de lui seul ; votre efficacité et vos succès sont à ce prix.
De moi, aussi, quand je suis arrivé dans le pays, ils exigeaient des miracles. Je les soignais de mon mieux ; eux, ils voulaient à tous les coups être guéris. Simple malentendu entre le médecin et ses malades, mais e'est un malentendu qui vient de très loin. À croire qu'ils se souviennent encore des temps mythiques où Esculape avait le pouvoir de ressusciter ceux qu’il avait eu l’étourderie de laisser mourir. Bien entendu, à I'usage, les malades ont cessé de me prendre pour le Bon Dieu depuis longtemps ; ils me pardonnent mes échecs. Mais, à chaque nouveau médecin, ils se redisent « Sait-on jamais? Et leur antique appétit de miracle recommence. Heureux celul qui, pour ses débuts, a la chance, comme vous, de les satisfaire ! Sinon, il lui faut quelquefois changer de canton.
Vous le verrez à l’usage. Déjà toute maladie est surtout une crise d’égoïsme tyrannique, mais parmi les malades, il n’y en a pas de plus égoïstes, plus difficiles, plus méfiants, plus tatillons, plus décevants que les vieillards ; le type même de patients qu’un médecin débutant doit redouter pour l’avenir de sa réputation. Il ne les guérira jamais et il n’en aura que des déboires : on ne fait pas du neuf avec du vieux. Pour les séduire, je vous recommande deux petites ruses innocentes : écouter avec patience le récit, entremêlé de détails oiseux et de radotages, de leurs petites misères, et paraître tenir compte toujours de leurs avis.