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Critique de SophieLesBasBleus


Agrippé à la statue de Jean Jaurès, le narrateur contemple la ville qui s'éveille en grignotant une branche de buis. Cette prouesse le reconduit tout droit à l'hôpital psychiatrique où il s'était pourtant juré de ne plus jamais retourner après y avoir séjourné à 20 ans. Dépression, bipolarité, schizophrénie, Pierre effeuille les pathologies mentales comme la marguerite des amours toujours. le regard qu'il pose sur ses compagnons d'infortune, sur le quotidien du micro-univers que représente l'H.P., oscille entre compassion, connivence, impatience et colère et, en cela, garde une clairvoyance que personne d'autre ne peut posséder. Soutenu par les visites de son père, Pierre prend peu à peu conscience de l'écart entre ses souvenirs et la réalité que les récits paternels lui dévoilent. Lui qui n'a eu de cesse de revendiquer orgueilleusement son appartenance à un milieu paysan, s'aperçoit qu'il s'est peut-être indûment attribué cette place. Certes sa famille cévenole était humble et s'est brisée à travailler la terre, mais Pierre a reconstruit cette réalité pour en faire une sorte d'emblème suffisant à le définir et à expliquer son déracinement. A l'image de l'arbre épiphyte, Pierre a puisé "sa matière organique" dans une histoire familiale qu'il a pour beaucoup réinventée, s'empêchant ainsi de "grandir".
L'écriture de Pierre Souchon a provoqué chez moi un tsunami d'émotions, de réflexions, de sentiments. Il faut dire qu'elle joue de tous les registres avec la même sensibilité, la même puissance d'évocation. Situations cocasses, moments dramatiques, réflexion sociale et politique, récit, descriptions, expression d'une intériorité chamboulée s'entremêlent, s'épousent, se contredisent sans que jamais le lecteur s'égare dans ce maelström qui figure une existence qui perd le Nord de ses Cévennes natales. La tendresse lucide avec laquelle le narrateur considère les autres internés contraste avec l'ironie mordante de sa description de la haute bourgeoisie. Il malmène son être autant qu'il tente de lui trouver un ancrage durable. Avec une grande sincérité, le récit se construit, se déconstruit, se remodèle autrement, bousculant les trajectoires temporelles, percutant les lieux et les histoires, dans un flot salutaire dont la poésie n'est jamais absente. Il m'a semblé que cette voix portait le réel de la maladie mentale jusqu'à son incandescence, jusqu'à son insoutenable vérité dans tout ce qu'elle cache et révèle. Pour moi, c'est un roman magnifique dont la force ne peut se résumer à ce simple billet.
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