Citations sur La porte du vent (41)
Oui je suis juif et chinois et j’ai appris de nos deux civilisations. Mais nous avons tous, ici, en commun l’espoir. L’espoir, pour les cent quarante mille Chinois qui ont été recrutés, de permettre à la Chine de gagner en rayonnement. Pour les Juifs, d’être considérés comme des patriotes dans leur propre pays. Et pour les Noirs américains, d’être respectés autant que les Blancs quand vous rentrerez au pays. Tous les morts se valent.
Les oiseaux revenaient ensemble vers Zhang qui démarra une série de mouvements lents, amples, une sorte de danse que l’énorme masse des oiseaux se mit à suivre, se laissant guider par l’homme, petit point rivé sur le sol. La silhouette filiforme de Zhang était un mélange d’élégance et de force. Il ressemblait à un chef d’orchestre guidant des musiciens sur une partition connue d’eux seuls. Il était évident, à cet instant précis, que rien d’autre n’existât pour Zhang. Un lien étrange, fort, invisible le reliait aux oiseaux. Cette connivence silencieuse créait un monde à part dans lequel Zhang et les étourneaux évoluaient.
Cela faisait trente ans qu’il n’avait plus été confronté à une telle vision. Une souffrance intense lui parcourut le corps. Il se revoyait enfant entendant les coups s’abattre sur sa mère qui les acceptait en silence, sa mère qui pénétrait ensuite dans sa chambre sans un mot, la peau marquée et bleuie, déposant par terre un plateau avec son assiette. Le souvenir de ces coups n’avait jamais été effacé, seulement enfoui dans un recoin de sa mémoire, prêt à rejaillir. Il ressentait de manière intacte cette violence qui l’avait habité dès son plus jeune âge et qu’il avait jusqu’ici réussi à refouler.
Tous, sans exception, étaient extrêmement riches. Leur sport favori : le carrousel de TVA, la « tève », comme ils l’appelaient. À ce jeu-là, ils étaient imbattables. Avec des dizaines de sociétés fictives, ils achetaient des conteneurs de marchandises hors taxes dans des pays européens qu’ils revendaient plusieurs fois à d’autres sociétés tout aussi fantômes en appliquant la TVA. Au moment de rembourser les taxes, les sociétés s’évaporaient. Et comme les rotations incessantes de marchandises portaient sur des centaines de milliers d’euros, les revenus générés par le détournement de la TVA étaient conséquents.
Si demain tu n'es pas meilleur qu'aujourd'hui, à quoi te servira demain ?
Ne parie jamais. Si tu sais que tu vas gagner, tu es une canaille, et si tu ne le sais pas, c'est que tu es fou. Des paroles très sages de Confucius, tu ne crois pas?
Oui, son clan fonctionnait comme une véritable mafia. Une partie des sommes gigantesques qu’il drainait prenait indirectement le chemin d’Israël grâce au mécanisme de blanchiment élaboré par les Chinois.
En fait, le mot « clan » était faible pour désigner l’empire de M. Shen. Les policiers, Paul Dalmate en tête, employaient davantage les termes de criminalité organisée, de mafia, de famille, ce qui correspondait parfaitement à la réalité
- Comment s’appelle cette prière du soir ?
- Ma’ariv. Vous connaissez ?
- Oui, je connais. Quelle est votre religion, Zhang ?
- C’est la religion juive, celle de ma communauté de la ville de Kaifeng.
David Fleisher hochait la tête, ébahi. Des dizaines de questions se télescopaient dans sa tête, incapable d’en formuler une seule.
- Suivez-moi dans mon bureau, lança-t-il finalement. Prenez votre livre, je souhaiterais m’entretenir avec vous.
Zhang enleva sa kippa noire, que le Français ne remarqua qu’à cet instant, la rangea et obéit. Lorsqu’ils furent tous les deux, le sergent rechargea sa pipe, l’alluma. Ce petit rituel facilita sa réflexion.
- J’ignorais qu’il y avait des juifs chinois. Parlez-moi de votre religion.
Un officier de l’état-major fit remarquer que les Anglais, dans le nord de la France, manquaient de main-d’œuvre pour leur logistique. Après avoir perdu soixante mille hommes en une seule journée, le 1er juillet 1916, et quatre cent mille depuis le début de leur engagement, ils accéléraient la cadence pour débarquer recrues et matériel dans le port de Boulogne-sur-Mer, site stratégique pour leur armée. La centaine de Chinois corvéables à merci leur serait fort utile et leur permettrait de tenir jusqu’à ce que leurs propres travailleurs recrutés en Chine les rejoignent. « Il sera temps ensuite d’affecter nos Chinois ailleurs », dit-il, satisfait de sa brillante idée.