Citations sur Le mal-épris (38)
Si tout pouvait être vrai, la tendresse, les baisers, si l’on pouvait s’aimer vraiment, sur un regard ou une caresse, les yeux clos pour ne plus rien savoir.
C’est dégueulasse, tout cela est dégueulasse. Le bonheur. La beauté. La classe. La réussite. L’histoire ne se coud qu’à la chance et lui est décousu.
Il a oublié le parfum de l'amour, les frissons et l'envie, il ne sait plus, ni dans son corps, ni dans sa tête, ça lui échappe, mais il devine - la boule serrée sous son sternum, gonflée ou dégonflée au rythme des rencontres, la moiteur de ses paumes, les doigts gourds, frottés sur ses cuisses, et son cœur qui palpite, pressions, rétractions, le pouls heurté, au cou et aux poignets, qui file sous les tissus et pulse jusqu'en oreilles.
Elle regrette d'avoir choisi cette robe rouge. Elle l'a enfilée trop vite, pressée par son fils malade et la course jusque chez sa mère. Voilà qu'on la regarde tandis qu'elle tire sur le tissu, encore et encore, espérant l'allonger. Si elle pouvait leur dire qu'elle n'est pas ce que leurs yeux leur renvoient, qu'une jupe n'est pas une permission, qu'ils la blessent.
— Nous sommes voisins depuis trois mois, permettez-moi de vous offrir un verre de vin… ou autre chose… J’habite en face… enfin, vous le savez… si vous le voulez bien…
L’audace de l’homme la stupéfie. Mylène est prise de court, elle hésite puis accepte – un petit oui timide dont elle ne revient pas. Elle ne sait pas dire non, quelle tarte ! Trop discrète, toujours accommodante, elle se laisse faire, pour ne pas fâcher ou ne pas vexer, elle consent et s’adapte, même avec ce gars dont elle ne connaît pas le nom, un voisin moche et collant qu’elle préférerait éviter. Elle a accepté et peste de se voir si sotte quand elle voudrait prétendre à plus de détermination. L’épisode la contrarie. Elle partagera le verre, discutera par politesse puis se carapatera rapidement.
Résignée, elle le suit, sourire plaqué sur les lèvres, aussi raide et potiche qu’une miss France en gala. Il lui trouve belle allure et se sent gauche. Ses mains sont moites, il est fébrile et ses pas sont chancelants – toujours ce corps traître, sans charme ni élégance, toujours cette carcasse qu’il traîne comme un boulet – regarde-moi, Mylène, regarde-moi au-delà de mon apparence. Si elle pouvait l’entendre. Mais il se tait. Comme chaque fois. Il glisse la clé dans la serrure et l’invite à entrer.
Elle occupe son esprit, ses jours, ses nuits, à chaque coin de rue, à son travail, il la voit dans la tasse de son café, dans le reflet de son miroir. Elle l’épuise et le mine par l’attente qu’elle suscite, son regard, un sourire, ces instants qu’il espère auprès des boîtes aux lettres.
"C'est trop commode de se cacher derrière des citations, comme si les mots trouvaient un sens aux actes - des excuses variables selon les points et les virgules, des choix pesés, souvent sortis de leur contexte et profondément modulables"
Il ne sait que prendre comme lui-même on l’a pris, l’amour à l’arrache, sans douceur, sans conscience. Des miettes. Il ne sait pas aimer, lui qui aime si fort.
Paul est amer. Son travail est ennuyeux, il vit seul et envie la beauté des autres. Nourrie de ses blessures, sa rancune gonfle, se mue en rage. Contre le sort, contre l’amour, contre les femmes.
Par dépit, il jette son dévolu sur l’une de ses collègues. Angélique est vulnérable. Elle élève seule son petit garçon, tire le diable par la queue et traîne le souvenir d’une adolescence douloureuse.
Paul s’engouffre bientôt dans ses failles. Jusqu’au jour où tout bascule. Il explose.
Une radiographie percutante de la violence, à travers l’histoire d’un homme pris dans sa spirale et d’une femme qui tente d’y échapper.
Il serre, Paul, fort, très fort. Il écrase leur histoire, ses mensonges, son indifférence, il broie sa peine et pénètre la chair tendre, marque et abîme. Il voudrait détendre ses doigts mais il n'y parvient pas, trop crispé, poussé par ces mots qu'il espère et qu'elle ne prononce pas. Ca lui ronge les tripes et le cerveau, plus fort que sa volonté- une hargne qui l'habite, une violence qui déferle tel un vent d'orage, puissante et incontrôlable.