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Critique de jg69


" Prendre le chasseur à son propre piège, "l'enfermer dans un livre " pour sortir de ses rêves de meurtre et de vengeance "

1985. Vanessa (V. dans ce texte) a 13 ans. Après le départ d'un père caractériel et tyrannique V. vit une relation fusionnelle avec sa mère. Celle-ci travaille dans une petite maison d'édition qui occupe le bas de leur immeuble, très jeune V. côtoie écrivains, journalistes, éditeurs. Elle trouve refuge dans les livres pour combler le vide laissé par le départ de son père qui se désintéresse très vite d'elle.

Lors d'un dîner, elle rencontre G. un écrivain célèbre dont elle ignore la réputation sulfureuse. Envoutée pas sa voix, flattée par le regard qu'il porte sur elle et par l'intérêt voire le désir qu'elle imagine susciter chez lui V. se sent enfin jolie. Il la vouvoie, elle se sent soudain grande. Et voilà V. tombée dans le filet de l'écrivain au " sourire carnassier de grand fauve blond " qui peu de temps après ce dîner lui envoie une lettre lui déclarant son besoin impérieux de la revoir. Il parvient à la convaincre qu'il l'aime et V. succombe. Ils deviennent amants. Elle a 14 ans, lui la cinquantaine. La mère de V. ne s'oppose pas à cette relation et ne fera jamais rien pour y mettre fin.

Elle qui vit dans les livres qui lui " tiennent lieu de frères et soeurs, de compagnons de route, de tuteurs et d'amis" est fascinée par cet homme de lettres. Elle a le sentiment d'avoir été élue, d'avoir un professeur particulier dévoué à son éducation sexuelle, elle se voit devenir sa muse, elle est flattée d'être incarnée en héroïne de ses romans. " Par vénération aveugle de " l'écrivain " avec un grand E, je confonds dès lors l'homme et son statut d'artiste."

Au bout de plusieurs mois de relation, en lisant des livres qu'il a publiés, V. découvre que G. collectionne depuis toujours les amours avec des jeunes filles vierges et pratique le tourisme sexuel auprès de tout jeunes garçons à Manille. G. est en fait un prédateur sexuel manipulateur couvert par une partie du milieu littéraire de l'époque. Commence alors pour V. ce qu'elle nomme la déprise, il lui faut s'arracher à l'emprise de cet homme alors même qu'il va s'apprête à raconter leur histoire dans son prochain roman. Ensuite ce seront de longues années de reconstruction d'autant plus difficile pour elle que G. ne cessera jamais de tenter de maintenir son emprise sur elle en la harcelant directement et au travers de ses écrits allant même jusqu'à publier les lettres qu'elle lui a écrites...

Ce texte n'est pas un roman mais "un récit littéraire autobiographique" comme le définit l'auteure elle-même. Vanessa Spingora décortique d'une manière simple et efficace le mécanisme de l'emprise psychologique d'un homme d'une cinquantaine d'années sur l'adolescente de quatorze ans qu'elle était à l'époque.

Dans ce récit remarquablement construit, elle retrace son enfance et analyse les conditions qui ont fait d'elle une proie, un père absent, un terrible manque d'amour, une grande solitude, une fascination pour un écrivain célèbre alors qu'elle était passionnée de lecture, des parents qui n'ont pas joué leur rôle de protecteurs, une mère complaisante et nourrie de la culture du "Il est interdit d'interdire", la tolérance du milieu bohème d'artistes et d'intellos dans lequel sa mère évoluait à une époque post 68 qui prônait la libération des moeurs. Elle décrit la manipulation psychique dont elle a fait l'objet et l'ambiguïté de sa situation puisqu'elle était consentante et amoureuse de cet homme. Un consentement qui sera source de culpabilité pour elle quand elle ouvrira enfin les yeux sur la vraie personnalité de cet homme.
Pour raconter sa terrible histoire Vanessa Springora a trouvé des mots extraordinairement justes et sobres sans jamais tomber dans le voyeurisme, ceux qui s'attendent à trouver du scabreux dans ce récit se seront trompés de lecture. J'admire la capacité de Vanessa Springora à prendre de la distance, à analyser, à se remettre dans la peau de la jeune fille de quatorze ans qu'elle était, à ne pas occulter son aveuglement, sa naïveté et surtout à ne jamais se poser en victime. Elle explique aussi clairement pourquoi elle est maintenant en capacité de livrer ce témoignage.
" le consentement" est un témoignage courageux, honnête, lucide et extrêmement digne mais c'est aussi de la bonne littérature. C'est un témoignage personnel à la portée universelle, un texte choc remarquable et essentiel car il dénonce l'impunité dont a bénéficié ce pervers connu pour défendre et pratiquer la pédophilie, protégé par un milieu littéraire complaisant qui l'encensait, un homme qui revendiquait ses penchants dont il faisait l'exploitation littéraire dans ses livres allant même jusqu'à publier ses journaux intimes et les photos de ses jeunes conquêtes sur son site officiel. Un homme qui bénéficiait aussi de protection dans le milieu judiciaire et politique...
Ce qu'a subi Vanessa Springora est prescrit mais espérons que son témoignage ouvrira la voie à d'autres victimes qui ont subi des abus plus récents.

"La sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas la majorité sexuelle est un acte répréhensible, puni par la loi."
Lien : https://leslivresdejoelle.bl..
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