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Le consentement de Vanessa Springora
De très nombreuses années ont passé avant que je me décide à écrire ce texte, plus encore à accepter de le voir publié. Jusqu'ici, je n'étais pas prête. Les obstacles me paraissaient infranchissables. Il y avait d'abord la peur des conséquences du récit détaillé de cet épisode sur mon cercle familial et professionnel, conséquences toujours difficiles à évaluer. Il fallait aussi surmonter la crainte du petit milieu qui protège peut-être encore G. Ce n'est pas négligeable. Si ce livre paraissait un jour, je pourrais faire face à de violentes attaques, de la part de ses admirateurs; mais aussi d'anciens soixante-huitards qui se sentiraient mis en accusation parce qu'ils étaient signataires de cette fameuse lettre ouverte dont il était l'auteur; peut-être même de la part de certaines femmes opposées au discours "bien-pensant" sur la sexualité; bref, de tous les pourfendeurs du retour de l'ordre moral ... .../... A vrai dire, je suis surprise qu'avant moi aucune autre femme, jeune fille à l'époque, n'ait écrit pour tenter de corriger la sempiternelle succession de merveilleuses initiations sexuelles de G. déroule dans ses textes. J'aurais aimé qu'une autre le fasse à ma place. Elle aurait peut-être été plus douée, plus habile, plus dégagée aussi. Et cela m'aurait sans doute soulagée d'un poids. Ce silence semble corroborer les dires de G., prouver qu'aucune adolescente n'a jamais eu à se plaindre de l'avoir rencontré. Je ne crois pas que cela soit la vérité. Je pense plutôt qu'il est extrêmement difficile de se défaire d'une telle emprise, dix, vingt ou trente ans plus tard. Toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu'on a forcément ressenti, de cette attirance qu'on a soi-même suscitée, nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans le milieu littéraire. En jetant son dévolu sur des jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires, G. savait pertinemment qu'elles ne menaceraient jamais sa réputation. Et qui ne dit mot consent. Mais à ma connaissance, aucune de ses innombrables maîtresses n'a tenu non plus à témoigner dans un livre de la merveilleuse relation qu'elle avait vécue avec G. Faut-il y voir un signe ? Ce qui a changé et dont se plaignent, en fustigeant le puritanisme ambiant, des types comme lui et ses défenseurs, c'est qu’après la libération des mœurs, la paroles des victimes, elle aussi, soit en train de se libérer. + Lire la suite |