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Critique de Kirzy


Kirzy
24 septembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 21 °°°

Le roman est vraiment étonnant. Il démarre de façon très classique par le récit de l'exil forcé en 1912 au Canada Edwin, jeune aristocrate anglais qui ne rentre pas dans le rang, donnant peu idée de l'étrangeté à venir. Et puis Emily St. John Mandel change radicalement son braquet temporel avec des chapitres sis en 2020, 2203 et 2401, et surprend en faisant intervenir des personnages de ces précédents romans, Station Eleven et L'Hôtel de verre, sans faire de son roman une suite, plutôt une extension. Et surprend encore avec ses tropes SF ( colonies lunaires avec dômes climatisés et champs robotisés, voyage dans le temps ).

Oui, Emily St. John Mandel s'est bien emparée du genre SF. Mais ici, pas de monde à sauver ou de grosse machinerie de cet ordre. Plutôt que d'encombrer son intrigue d'avancées technologiques et gadgets geek, l'autrice se concentre sur les drames intimes qui secouent ses personnages et l'évolution de leur psyché. Sur un tempo limpide et apaisant, elle croise les différents arcs narratifs temporels en imaginant un superbe meta fil conducteur :

« Il titube péniblement entre les arbres et, quelques instants plus tard, Edwin se retrouve seul à scruter les branches. Il s'avance … et l'obscurité s'abat, comme provoquée par une cécité ou une éclipse. Il a l'impression de se trouver dans un intérieur caverneux, genre garde de chemin de fer ou cathédrale, il entend des accords de violon, il y a des gens autour de lui, puis un son impossible à identifier … »

Cette expérience paranormale est vécue de la même façon par les principaux protagonistes à des siècles d'intervalle, créant ainsi un suspense fragmenté qui se diffuse lentement, puis se déploie pour revisiter ce que l'on savait des personnages, permettant au lecteur de découvrir ce qui leur est arrivé dans les silences interstitiels et ce qui aurait pu leur arriver, jusqu'à ce que toutes les pièces du puzzle se mettent à leur place et donnent sens.

Même si la résolution en elle-même n'a rien de révolutionnaire, on est happé jusqu'à la fin, hypnotisé par l'élégance stylistique d'une écrivaine dentellière , par la beauté élégiaque et poétique qui se dégage d'un texte qui se fait méditation philosophique sur le temps, la solitude, ainsi que le libre-arbitre et les choix d'une vie dont on recherche le sens, inlassablement, douloureusement.

« Je pense que, en tant qu'espèce, nous avons le désir de croire que nous vivons le point culminant de l'histoire humaine. C'est une forme de narcissisme. Nous voulons croire que nous avons une importance unique, que nous vivons le dénouement de l'intrigue, que maintenant, après des millénaires de fausses alertes, arrive enfin le pire qui soit jamais arrivé : nous avons enfin atteint la fin des temps. (…) Et si c'était toujours la fin du monde ? (…) Parce que nous pourrions raisonnablement considérer la fin du monde comme un processus continu et sans fin. »

Un beau roman empreint de mélancolie, très inspiré.
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