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Critique de Cannetille


Une femme, Vincent, tombe de nuit d'un porte-conteneurs malmené par la tempête. Treize ans plus tôt, elle travaillait avec son frère Paul à l'hôtel Caiette, un luxueux établissement isolé sur l'île de Vancouver. Son destin basculait le soir où, juste quand le milliardaire new yorkais Jonathan Alkaitis pénétrait dans l'hôtel, un mystérieux et inquiétant tag apparaissait sur la façade vitrée : « Et si vous avaliez du verre brisé »…


Le récit commence là où il finira, dans un plongeon à pic et un tumulte d'images ultimes. Happé par la frénésie de l'incipit, le lecteur apprendra bientôt ce qui s'est enclenché un quart de siècle plus tôt, préparant Vincent à se laisser emporter par une illusion qui la perdra, en même temps que presque tous les personnages. Ce mirage a un nom et un visage : Jonathan Alkaitis, alter ego romanesque de Bernard Madoff, organisateur d'une gigantesque escroquerie construite sur le principe de la pyramide de Ponzi.


Comment une arnaque aussi massive, que d'aucuns avaient pourtant publiquement percée à jour, a-t-elle pu prendre autant d'ampleur et durer si longtemps ? Emily St John Mandel met en évidence les mécanismes humains qui ont conduit les protagonistes à se laisser enfermer, plus ou moins consciemment, dans une vulnérable mais séduisante bulle d'irréalité, à l'image de cet hôtel de verre, cocon douillet et exclusif à l'écart du monde, dont on en vient à oublier qu'il pourrait voler en éclats comme du cristal. Choisissant de ne voir que ce qu'il veut bien, selon l'opportuniste principe qu"'il est possible de savoir quelque chose et en même temps de ne pas le savoir", chacun s'aveugle en jouant du flou entre réel et virtuel, entre mensonge et apparences, pour apprendre à s'arranger avec ses craintes et ses scrupules, dans un complexe jeu de dupes où l'illusion finit par prendre corps.


Cette exploration psychologique construit peu à peu une galerie de portraits nuancés, souvent ambivalents, d'une grande humanité. Il s'en dégage une mélancolie de plus en plus prégnante, au fur et à mesure que s'estompe l'effet hypnotique du mirage qui maintenaient les personnages dans leurs illusions et leurs faux-semblants. Bientôt ne subsistent plus que la réalité crue du malheur et de la déchéance pour les uns, l'insupportable hantise de la culpabilité pour les autres, dans une évocation où affleurent émotion et poésie.


Savamment enchevêtrés, les éléments narratifs de cette histoire s'assemblent en un tableau désenchanté d'une société tellement obsédée par l'argent, qu'elle en arrive collectivement à se convaincre de la réalité de fantasmes insensés. Une lecture troublante sur la plasticité de nos représentations mentales, lorsque l'intérêt parvient à ce point à distordre notre perception du réel.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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