AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Isidoreinthedark


Décembre 2007, Kathleen, l'héroïne du premier roman de Sarah St Vincent, travaille dans un snack situé dans un parc naturel coupé du monde, perdu dans les forêts oubliées de Pennsylvanie, perché à la pointe septentrionale de la chaîne des Blue Ridge Mountains. Venu de nulle part, surgit « Daniil », un étranger qui se dit étudiant ouzbek, que Kathleen héberge pour la nuit dans le gîte attenant.

L'arrivée de Daniil marque le début d'une amitié timide entre deux êtres cabossés par un passé que l'on devine trouble voire tragique. Daniil prend ses quartiers dans le gîte avec la bénédiction de Martin, personnage étrange et lumineux, qui gère l'établissement. Il passe la plupart de son temps reclus dans sa chambre, dont il ne sort que pour échanger quelques mots avec Kathleen, se montrant particulièrement discret sur la véritable raison de sa présence au coeur des Blue Montains.

Kathleen a elle aussi fui le monde, en proie à de lancinantes douleurs qui irradient sa hanche, elle vit avec sa grand-mère dans la bourgade la plus proche. L'auteure lève peu à peu le voile sur le passé de son héroïne, qui se procure auprès de l'oncle de sa meilleure amie Beth des opiacés qui la plongent chaque soir dans un sommeil sans rêves. La jeune femme de vingt-sept ans a été une brillante étudiante de physique, elle a été mariée et un mystérieux accident l'a poussé au ban de l'austère communauté de la région.

Le passé de Daniil paraît plus obscur encore, en permanence sur le qui-vive, il semble redouter une menace aussi terrible qu'invisible. le mélange d'inquiétude et d'une étrange douceur qui émane du longiligne étranger émeut Kathleen à qui il se confie lors de longues parties d'échecs et raconte être un avocat ayant fui la police secrète d'Ouzbékistan, réfugié au Etats-Unis grâce à l'obtention d'un visa étudiant qui vient d'expirer.

Dans ce roman aussi sombre qu'envoûtant, une angoisse insidieuse étreint progressivement le coeur du lecteur, qui saisit que l'enjeu du livre a finalement peu à voir avec l'intrigue qui, telle une araignée géante, déploie lentement sa toile. Non, ce qui se joue ici, c'est le puzzle du passé des protagonistes qui se construit au fur et à mesure que se déroule le récit.

Comme le suggèrent les vestiges d'un camp de prisonniers allemands et japonais datant de la seconde guerre mondiale situés à quelques encablures du gîte, « Se cacher pour l'hiver » est avant tout un roman qui affronte la question du Mal. On peut même affirmer qu'il nous rappelle le sens d'un mot galvaudé, en osant nommer l'indicible. Les destins croisés de Kathleen et de Daniil illustrent à la fois sa terrible banalité et son innommable horreur, de la violence conjugale « ordinaire » aux séances de torture pratiquées par la police secrète ouzbek.

Tapi dans une nature inviolée dont la beauté sauvage coupe le souffle, serti dans l'écrin délicat d'une écriture empreinte de poésie, « Se cacher pour l'hiver » est un roman noir comme l'ébène, un souffle glacé qui s'engouffre dans les plus sombres recoins de l'âme humaine, qui propulse son lecteur dans les dédales obscurs d'une forêt souterraine hantée par le malin. Et pourtant, au coeur des ténèbres, on aperçoit parfois une flamme tremblante, sur le point de s'éteindre, telle une lueur d'espoir qui vacille au coeur de la tempête.
Commenter  J’apprécie          328



Ont apprécié cette critique (28)voir plus




{* *}