Plutôt que d'approuver les codes sociaux qui étouffent la spontanéité de Marianne, le roman critique l'hypocrisie d'une société en apparence civilisée, mais qui ne prend guère soin de ses membres les plus vulnérables. IL met en évidence les injustices du quotidien et la manière dont les plus méritants ne jouissent pas toujours du succès matériel. Après la mort de Monsieur Dashwood, ses filles sont évincées de leur foyer par l'alliance conte-nature entre le droit de succession anglais et l'égoïsme de leur belle-soeur. La conversation a beau dériver vers des cadeaux compensatoires en porcelaine, les mesures prises n'en demeurent pas moins brutales. La situation délicate de Mrs Daswood et de ses trois filles illustre de toute évidence la dépendance des épouses, mais cette dénonciation est nuancée par la conquête triomphale de Norland par Fanny Dashwood à travers son propre mariage. Jane Austen est ainsi parvenue à développer une forme qui permet à sa propre expérience de venir enrichir sa fiction, de la tempérer par une riche connaissance de la société humaine, acquise par des années d'observation attentive. Elle sait très bien que le malheur d'une famille contribue souvent à la prospérité d'une autre, et que les personnes sur le déclin ne sont pas à l'abri du pire. Contrairement à tant de ses contemporains, elle évite toutefois cette représentation conventionnelle de l'innocence bafouée, sachant que son histoire gagnera en crédibilité si ses personnages et leurs bonnes ou mauvaises fortunes sont plus nuancés, leurs afflictions plus conformes à l'expérience réelle de ses lecteurs.
La description réaliste des problèmes auxquels tant de gens sont confrontés permet également une manière de commentaire social, profondément ressenti par l'auteure, mais libéré du ton polémique qui règne parmi tant de romans dans la décennie révolutionnaire des années 1790. La pression du mariage qui déclenche l'intrigue de "The Watsons" est à nouveau illustrée par le déménagement forcé des Dashwood vers le Devonshire, ainsi que dans la raillerie embarrassante à laquelle elle sont ensuite soumises à Barton Park. Mais cette injonction est relativisée par le portrait sans concession du couple mal assorti des Middleton, qui remplit sa maison d'invités pour s'étourdir de leur compagnie, ou celui de M. Palmer, "aigri de constater, comme beaucoup d'autres de son sexe, que suite à un parti pris inexplicable en faveur de la beauté, il était devenu le mari d'une femme très bête." Le mariage est peur-être la récompense offerte par la société contemporaine aux jeunes femmes méritantes, mais Jane est bien consciente du fait qu'il s'agit parfois d'un cadeau, sinon empoisonné, du moins fort affligeant. Alors que certains personnages féminins du roman tirent un grand avantage de leur union, d'autres endurent maintes années d'ennui profond ou même de désespoir. Comme souvent dans ses romans, Jane Austen décrit une société où le sort de chacun semble instable et où les êtres humains réagissent de manières diverses aux difficultés qui les affectent. Si les problèmes sont collectifs, les manières d'y répondre sont individuelles.